On entend volontiers que les participants éprouvent tellement d’intérêt vis-à-vis de cette nouvelle manière de travailler qu’ils ne peuvent envisager de laisser leur place vide, qu’ils se doivent aussi d’en faire « profiter » leurs collègues… quoi de plus intéressant quand on sait que cette formation a pour objectif de favoriser la collaboration, la coopération.

Les contacts et rencontres entre l’Université de Paix et l’éducation nationale algérienne ont eu lieu à partir de juillet 2006, afin de voir les possibilités et intérêts de travailler ensemble dans le cadre de projets de développement portés par le CISP (ONG italienne) et ses partenaires associatifs algériens. En 2012, nous continuons les partenariats et actions entreprises à travers le Réseau Université de Paix. Selma Khelif nous offre sa vision de cette collaboration.

Témoignage de Selma Khelif – Psychologue et coordinatrice de projet de développement pour le CISP Algérie

Ma première rencontre avec le programme et les formateurs de l’Université de Paix s’est faite en 2007. Un programme de formation qui rassemble des jeux de coopération afin de donner à voir qu’il y a d’autres possibilités de répondre à l’autre, de tisser des liens avec l’autre que celles que nous apprenons plus aisément à l’école et ailleurs. En effet, il y a la coopération, la collaboration ! Il n’y a pas que la compétition, quoi qu’il arrive. C’est une occasion, en quelque sorte de donner à voir que je peux réussir sans piétiner mon camarade, que je peux réussir même en faisant justement attention à ce camarade, en l’aidant en cours de route. Et cette dernière réussite est double car elle l’est aussi dans le sens d’une réussite dans le tissage de liens de confiance…

Cette aventure a commencé par la formation dans un premier temps des animateurs d’associations partenaires travaillant auprès des enfants ; dans un second temps, à Bab El Oued (BEO) –quartier populaire d’Alger- des enseignants, des adjoints de l’éducation et des conseillers d’éducation et d’orientation, grâce à un module d’initiation en mai 2007, puis d’approfondissement en novembre 2007.

Les premiers modules de formation ont été animés par des formateurs de l’Université de Paix, sous forme de 4 jours de suite par module, en ma présence. Les participants sont des professionnels, convoqués par leur tutelle afin de participer à la formation, souvent sans trop connaître l’objectif de cette dernière.

Dès le premier jour du module, les participants sont agréablement surpris par l’aménagement de la salle (en cercle, sans table) et, très vite, par l’aspect ludique de la formation et par les attentions qui leur sont accordées. Alors le participant qui ne peut assister le deuxième jour trouve judicieux d’envoyer un collègue à lui, à sa place. Cela a été d’abord « déroutant », car il semble qu’il est plus « utile » d’assister aux 4 jours, afin de comprendre la philosophie transmise par les concepts et les jeux de coopération ! On dira que cela se passe « à l’algérienne ! », avec un brin d’ironie. Et quand on se donne la peine d’aller au-delà de ces considérations organisationnelles d’efficacité, on entend volontiers que les participants éprouvent tellement d’intérêt vis-à-vis de cette nouvelle manière de travailler qu’ils ne peuvent envisager de laisser leur place vide, qu’ils se doivent aussi d’en faire « profiter » leurs collègues… quoi de plus intéressant quand on sait que cette formation a pour objectif de favoriser la collaboration, la coopération !

Et oui, tous les participants ont considéré ce module de formation comme un moment de « repos », de « soin »,… un moment pour revenir sur eux-mêmes, se détendre, réfléchir sur soi sans la pression de tous les jours… Un enseignant a rapporté que son épouse souhaitait que ce style de formation se renouvelle régulièrement, car son époux « a changé ! Il rentre à la maison souriant, discute avec les enfants… et ne s’est pas mis en colère durant toute la semaine de formation… ».

Les professionnels de l’éducation soulignent avant tout et essentiellement cet apport personnel de la formation qui fait qu’ils vont à la rencontre de l’autre (famille, élèves, collègues,…) de manière sereine, et… cela se voit !

Ensuite, chaque année, deux modules de formation sont proposés. Pour les participants -les encadreurs des enfants, cela est apparu un peu lent au niveau de la progression, de la diffusion et de l’intérêt manifesté pour ces concepts. Il a fallu envisager la formation de formateurs, des relais algériens. Quoi de plus efficace que de former des animateurs et des professionnels des associations partenaires dans la diffusion, entre pairs, d’une communication non-violente ? … Et, pour que la diffusion se fasse plus vite et qu’elle s’adapte aux contextes et aux opportunités.

Pour cela, un groupe de 20 animateurs à la gestion positive des conflits a été sélectionné, en tenant compte de leur disponibilité et leur possibilité de quitter le foyer familial durant, par exemple, 4 jours en résidentiel pour le premier module de formation de formateurs relais, module auquel j’ai participé.

En mai et novembre 2008, 9 formateurs relais stagiaires (dont je fais partie) ont pu expérimenter l’animation d’un module « Initiation à la gestion positive des conflits », sous la supervision d’un formateur de l’Université de Paix, pour un groupe de professionnels de l’éducation de Bab El Oued.

Quelle belle expérience ! Quel beau début ! Quel enthousiasme ! Entre-temps, et avant ce premier module de mai 2008, des réunions régulières de suivi et de soutien à la mise en pratique s’organisaient, pour les professionnels de BEO qui ont été formés. J’animais ces réunions. J’apprenais avec les professionnels de terrain, les accompagnants à revoir, ensemble, la manière de mettre en pratique les concepts et jeux de coopération vus lors de précédentes formations, toujours selon les disponibilités des adultes, des enfants, de l’espace… et toujours, selon la fonction et l’engagement personnel de chacun.

En effet, une enseignante d’éducation sportive trouvait de la facilité à proposer des jeux de coopération durant ses cours. Un enseignant de mathématique trouvait utile de commencer son cours par « la météo » [consistant à exprimer ses émotions de manière imagée], activité qui a surpris les élèves car l’enseignant partageait aussi ses émotions… Selon l’enseignant, les élèves sont plus calmes et le cours se déroule plus facilement, plus rapidement et plus efficacement.

Un autre adjoint de l’éducation explique qu’il est plus souriant dans la cour de récréation et que les élèves ont du coup moins peur d’aller lui demander de l’aide pour gérer leurs conflits. Il a appris à ouvrir le dialogue avec les élèves au lieu de crier et de punir. Il est reconnu par le directeur d’établissement comme étant une ressource dans la gestion des conflits entre collègues et entre élèves.

Une conseillère d’orientation incite les élèves à parler en « JE » et à écouter celui qui parle… Une convention avec la direction de la jeunesse et des sports permet de former différents groupes de professionnels de maisons de jeunes de la région de Tizi Ouzou, par des formateurs relais algériens.

Et là, commencent à apparaître les difficultés d’animation et d’organisation de l’équipe de formateurs relais,… et les solutions à y apporter : la nécessité d’organiser des réunions mensuelles dites d’intervision afin d’exercer les manières de faire, d’exposer les concepts, de comprendre les objectifs de chaque proposition d’activité, de planifier le travail en co-animation,… ceci amenant à reconnaître de mieux en mieux les limites et les compétences de chacun et à collaborer ; ceux qui ont avancé plus vite soutiennent les autres. Un début d’autonomie de co-construction de savoirs, savoir-faire et savoir-être se crée dans la mesure où le groupe de formateurs relais algériens poursuit sa formation continue même en l’absence des formateurs de l’Université de Paix et est conscient de cette nécessité.

En cours de route, des collègues formateurs relais ont quitté le groupe, pour des raisons diverses. Cela nous a d’abord peiné, aussi parce que nous étions moins nombreux à poursuivre cet objectif de diffusion, ne comprenant pas toujours bien leur motivation à abandonner. Nous n’étions progressivement plus qu’une dizaine.

Constat est fait que programmer des sessions de formation de 4 jours est difficile car il faut tenir compte de la période pour les organiser (examens, congés scolaires, conseils de classe,…), les proposer uniquement en semaine… ce qui implique un nombre peu élevé de modules de formation… et une diffusion plus lente que prévue.

En 2009… il était temps, pour poursuivre la progression des formateurs relais algériens, de programmer un module d’approfondissement. Deux groupes sont constitués, animés par un formateur relais, supervisé par un des formateurs de l’Université de Paix.

Cette expérience est, à mon avis, à marquer d’une pierre blanche ! Elle nous a amenés à revenir sur nous-mêmes, sur ce que nous attendions des compétences de l’Université de Paix, sur ce que nous comptions faire de nos savoir-faire et, surtout, ce que nous ne pouvions pas faire. En effet, nous avons dit STOP à cette progression car elle ne nous correspondait pas.

Nous comprenions que nous allions trop vite pour pouvoir être à la hauteur de ce que nous avions à diffuser, à transmettre, et que nous ne pouvions plus suivre le rythme suggéré par les formateurs de l’Université de Paix, car cette expérience se passe en Algérie, et justement à l’algérienne !

Nous avons donc pris plus de temps pour discuter dans le détail de ce que chacun faisait, de cette nouvelle manière d’envisager les liens, de manière non-violente et constructive. Et voilà,  nous réalisons ensemble que nous sommes 9 à diffuser des concepts, des outils qui invitent à la non-violence et cela, chaque jour, dans chacune de nos interventions auprès de la population adulte.

En effet, nos actions ne peuvent se limiter à des sessions de 4 jours de formation pour un groupe déterminé. Nos actions… Quand 3 enseignants d’un collège de BEO décident de mettre en place un atelier-pilote en gestion positive des conflits, en septembre 2008, ils rencontrent des difficultés avec leurs collègues non initiés et expriment cette difficulté lors d’une des réunions de suivi. Je propose en accord avec le directeur du collège de réunir l’ensemble de l’équipe pédagogique, une matinée ou 2 heures, afin de les sensibiliser à l’action menée par les 3 enseignants. Cette séance n’est pas l’occasion d’initier qui que ce soit, mais est une opportunité pour « donner à vivre » aux autres collègues, les bénéfices de se réunir, de donner de l’attention et de la considération à toutes les interrogations, invitant ceux-ci à assister à l’atelier-pilote. Les collègues sont passés de la curiosité et de la méfiance à de la considération, de l’encouragement pour les 3 enseignants. Car, ces derniers continuent, sur leur temps libre, à proposer cet atelier à un groupe d’adolescents.

 

Aujourd’hui, les adolescents concernés par l’atelier sont reconnus, tout comme les 3 enseignants, en tant que ressources par les autres professionnels et par les autres élèves. En effet, avoir choisi, au hasard, 2 adolescents par classe, a donné ce beau résultat de la présence d’au moins une ressource par classe. Un enseignant en difficulté avec ses élèves est soutenu par cette petite graine de médiateur. Et, cela est une réussite ! Et ces jeunes issus des ateliers de non-violence me demandent : « Poursuit-on ces ateliers quand on sera au lycée ? ». Nous n’avons pas la possibilité, par rapport au nombre de formateurs relais, d’initier et d’accompagner aussi des professionnels de lycées… Alors on réfléchit avec leurs enseignants à leur permettre de préparer et de co-animer les séances de la dernière année de collège, en renforçant leurs connaissances et leurs outils. Pourquoi ? Tout simplement, pour qu’ils soient des ressources aussi au lycée, accompagnés et reconnus par les conseillers d’orientation scolaire initiés car chacun est en charge de 2 collèges et d’un lycée. A suivre !

N’oublions pas qu’en formant un groupe de jeunes adultes d’une association de Bab El Oued, ils en parlent autour d’eux. Aussi, d’autres associations de jeunes adultes sont en demande, pour eux-mêmes, afin de mieux gérer leurs relations, et pour les enfants dont ils ont la charge durant les vacances scolaires… et voilà qu’une association de Djanet (Sud de l’Algérie) va frapper à toutes les portes pour trouver un sponsor, de quoi nous payer 2 billets d’avion pour accompagner de grands adolescents à passer le BAC… à travailler la question de la confiance et de l’estime de soi. Ce lien a permis de faire émerger la demande des professionnels de l’éducation de cette région du sud algérien, qui attendent d’être formés à leur tour.

Depuis septembre 2010, nous mettons en place une intervision, à peu près tous les 4 à 5 mois, en résidentiel, durant 3 jours. Parler de nos difficultés, de nos compétences, explorer d’autres outils… permet de renforcer le groupe des formateurs-relais, 3 jours de partage et de vivre ensemble, 3 jours pour apprendre encore à se faire confiance, à se parler avec pour seul objectif « grandir ensemble ».

Depuis décembre 2010, de nouveaux formateurs-relais ont intégré le groupe des 9, particulièrement sensibles à l’importance de se mobiliser dans la diffusion de possibilités fraternelles… Je les accompagne selon leur emploi du temps, à revoir les outils à diffuser, à les accompagner à devenir formateurs… leur premier stage de formateurs-relais est prévu pour juin 2011… des enseignants, des étudiants, des psychologues ont donné un nouveau souffle à notre groupe qui est à présent constitué de 18 formateurs-relais.

Une dernière nouvelle, les collègues relais qui ont dû quitter le groupe se sont constitués en association « El Yamama » (la colombe) dont l’un des objectifs est la diffusion d’outils de non-violence et de gestion positive des conflits. Cette association vient à notre rencontre, en juillet prochain, afin de voir ensemble les possibilités de se soutenir mutuellement, en regardant dans la même direction, celle de la non-violence. Une question de chiffre ? Je peux dire que plus de 1000 adultes ont été sensibilisés directement à la gestion positive des conflits, mais cela n’aurait pas beaucoup de sens et serait même réducteur de ce travail de partage et de sensibilisation qui se fait tous les jours, par les relais, par les initiés, par les enfants…