Jean-Luc Gilson (Master en Sciences économique et en Sciences sociales, Master en gestion fiscale de Solvay, Gradué de l’Ecole Internationale des Chefs) nous présente le concept de la sociocratie travaillé entre autres par Gilles Charest.
Gilles Charest (canadien) est conseiller en entreprise depuis 1971, auteur du livre La démocratie se meurt, vive la sociocratie. Il est président de Sociogest, un bureau de conseillers en développement des organisations. Il occupe le poste de directeur de l’éducation au Centre mondial de sociocratie. Il est responsable de l’implantation des centres sociocratiques en francophonie. Depuis 2003, il dirige l’École Internationale des chefs qui fait la promotion de la sociocratie dans le monde.
Qu’est-ce que la sociocratie ?
Par Jean-Luc Gilson. Un article initialement publié en 2011, dans notre trimestriel.
La sociocratie est un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation quelle que soit sa taille -d’une famille à un pays- de se comporter comme un organisme vivant, de s’auto-organiser. Le principe de base est faire vivre en parallèle à la structure d’exécution (en général hiérarchique), une structure de décision où chaque membre de l’organisation dispose d’un pouvoir équivalent basé sur le libre consentement. La sociocratie a été mise au point par un néerlandais, Gérard Endenburg (Wikipédia (en)), qui avait fréquenté une école alternative inspirée de l’idéal des Quakers. A partir de 1970, il a expérimenté avec succès la sociocratie dans l’entreprise qu’il dirigeait, puis a contribué à la diffuser dans des organisations de toute taille aux Pays-Bas et dans le monde.
C’est donc un mode de gouvernance qui repose sur le consentement. Dans les entreprises, les organisations, les familles, etc. La sociocratie a pour objectif de rendre la parole à chacun(e), de réconcilier pouvoir et coopération.
Je rêve d’organisations qui…
« Je rêve de structures qui, au lieu de nous désapprendre le lien avec nous-mêmes, nous enseigneraient à le restaurer. Un monde où ce serait naturel d’être relié à la Vie ».
Marshall Rosenberg
L’esprit civique règne dans une communauté quand ses membres ont la possibilité et le devoir de soumettre leurs décisions à une instance supérieure bienveillante. Sans cela, la vie sociale devient un enfer où la méfiance, érigée en système, conforte le pouvoir tyrannique des puissants.
Peut-on s’imaginer une structure de communication et de prise de décision qui soit pédagogique au point de nous enseigner le triple lien avec nous-mêmes, les autres et l’environnement ? Peut-on s’imaginer une structure sociale qui nous guérisse de nos peurs et nous relie à la Vie dans des rapports hiérarchiques sains ?
Comment le mode sociocratique de gouvernance peut-il répondre à ces questions ?
Un enseignement vivant
Comme tous les enseignements qui ont de la valeur, les principes sociocratiques sont fort simples. Les changements de comportement et de mentalité qu’ils nous invitent à faire le sont beaucoup moins.
La pensée dominante sur l’exercice du pouvoir est fort éloignée du mode de gouvernance sociocratique et quoi que l’on fasse individuellement pour s’en extraire les conditionnements de la pensée dominante dont nous sommes la cible sont tenaces.
C’est tout un apprentissage de sortir de nos vieux réflexes de domination et de dépendance découlant d’une vision du monde axée sur la rareté pour acquérir des réflexes de coopération et d’autonomie soutenus par une vision du monde basée sur l’abondance des moyens pour satisfaire nos besoins.
Le renouveau auquel cet apprentissage doit nous conduire exige un changement de niveau de conscience. Il fait appel à un renouveau spirituel profond.
Les processus sociocratiques sont utiles dans la mesure où ils servent de soutien à l’élévation des consciences. C’est, en tous cas, l’intention cachée derrière l’ingénierie de ces processus.
Les processus sociocratiques ne sont que des contenants, des balises, qui nous indique le chemin. Ce n’est pas l’enseignement proprement dit.
L’enseignement lui est quelque chose de vivant qui ne peut se transmettre que de façon vivante, donc par une expérience vécue de la communauté qui conduit à un savoir réel.
Pour que cette expérience ait lieu, il faut qu’elle soit guidée par des médiateurs compétents, c’est-à-dire des personnes qui possèdent le savoir, un savoir qui va bien au-delà de la technique. Ces personnes sont de vrais chefs. Elles donnent l’exemple et enseignent la sociocratie par la cohérence qui se dégage de leur enseignement et leur façon d’être en relation avec les autres.
Une implantation aboutie du mode de gouvernance sociocratique ne peut pas faire l’économie de la formation de ces chefs.
L’espace sacré de la communauté
Le cercle sociocratique a pour but ultime de nous apprendre à respecter l’espace sacré qui existe entre chaque être humain et sa guidance intérieure. C’est de cet espace que chacun peut gérer sa propre personnalité et déployer tous nos talents.
Le cercle sociocratique, animé selon les règles de l’art, encourage les membres à respecter cet espace sacré où tous les points de vue peuvent être examinés à la lumière du bien commun qui inclut nécessairement l’intérêt de notre planète.
Cette espace qui fait figure d’instance supérieure, c’est le temple vivant autour duquel une communauté authentique peut se construire. Il est le lieu de l’émergence de cette nouvelle conscience communautaire qui doit présider à ce que d’autres attendent béatement sous la forme d’un gouvernement mondial institué par je ne sais quel agent extérieur.
Or, dans les organisations d’aujourd’hui, cet espace sacré est encombré par la pollution de la pensée dominante. L’église au cœur du village, symbole du temple vivant nécessaire à la vie communautaire, est devenu au fil de l’histoire une coquille vide et les vrais enseignements ont été déformés sinon perdus. Dans bien des cas, ils ont été remplacés par des dogmes rigides et les croyances sclérosées de la pensée dominante.
C’est cet espace sacré ouvert aux différents points de vue et éloigné des débats stériles que veut instituer la sociocratie.
De nouveaux leaders
La nouvelle conscience ne pourra se manifester et les communautés qu’elle inspirera ne pourront prendre forme que si, d’une part, nous structurons nos communautés de vie et de travail pour que cela se produise et que d’autre part, nous formons des chefs capables de faire vivre au sein même de nos institutions l’espace sacré qui doit unir la communauté de tous les humains.
Le gouvernement mondial auquel nous aspirons existe déjà, il s’agit de restaurer en tous lieux où nous vivons et œuvrons cet espace sacré et de nous mettre sincèrement à son écoute.
Pas de culture sans structure, mais pas de structure sans chef. Les principes sociocratiques reconnaissent la structure. Qui dit structure dit hiérarchie. Le chef la fait vivre, cette structure, en aidant chacun à se mettre en lien avec l’espace sacré qu’il aménage au sein de son organisation : le cercle.
Grâce à cette espace de concertation, peut alors se développer un savoir, un savoir faire et un savoir être : fondations d’une culture commune au service de la Vie.
Cette culture commune à la base de la croissance humaine sera l’héritage le plus précieux des générations futures. A nous la responsabilité de la développer et de l’entretenir, car nous en avons les moyens !