Cet article est une synthèse du dossier « Gestion de comportements dominants (intimidations) avec un jeune » produit par le Conseil académique en gestion de conflits et en éducation à la paix.
Il arrive qu’un jeune adopte des comportements qui visent à déstabiliser l’adulte. Celui-ci semble dans une lutte de pouvoir. Le jeune tâche d’attirer l’attention par sa posture, a un « regard défiant », agit comme bon lui semble en dépit des règles ou des demandes. Les sanctions ont l’air inefficaces, sans effet : a priori, il s’en fiche complètement. Comment faire ? Comment en faire un allié ?
Ces comportements relèvent de tentatives de prise de pouvoir dans la relation ou le groupe : l’individu souhaite implicitement envoyer le message qu’il est le chef. Nous parlerons aussi de comportements d’intimidation, qui peuvent prendre la forme aussi de séduction, de manipulation…
1. Agir par la communication
Par des techniques d’écoute et de communication, l’adulte peut désamorcer un certain nombre de tentatives de prise de pouvoir sur le groupe.
Il s’agit de témoigner d’une « force tranquille », d’une assurance et d’une présence dans le groupe. Il est question de « sortir de la loi du plus fort » et du « pouvoir sur ». Par sa posture, son occupation de l’espace et son authenticité, l’adulte peut diminuer les tentatives de domination qui nuisent au fonctionnement en collectivité. Communiquer consiste aussi à écouter, et donc à donner la parole.
« Dévoiler les cartes » : verbaliser
L’adulte éducateur peut « dévoiler les cartes », c’est-à-dire verbaliser ce qui se passe, calmement et sans jugement. Lorsqu’il y a des rires après une intervention : « J’entends des rires, c’est marrant ce qui vient d’être dit ? »
Cela permet de montrer un certain contrôle de la situation.
On peut interpréter un comportement de déstabilisation de plusieurs manières : refus de l’autorité, agressivité passive, etc. Il ne s’agit pas de nécessairement vouloir « être le chef », mais d’un moyen pour obtenir des avantages, une influence, une attention particulière ou encore une place dans le groupe. Cette place peut être « positive » (au service du groupe et de chacun de ses membres) ou « négative ». Ces différents « jeux et enjeux » peuvent être explicités et questionnés.
Gestion du « territoire »
Si la dominance est un comportement grégaire, elle est liée à une « maîtrise » du territoire. Il ne faut par conséquent pas hésiter à circuler dans la salle de classe, entre les bancs. Un professeur qui reste assis derrière son bureau aura probablement moins d’assise sur le déroulement de la séquence qu’une personne mobile et debout, à moins d’avoir déjà suffisamment marqué sa place dans le groupe. L’occupation de l’espace passe aussi par l’utilisation de la voix ou encore les gestes.
Dans le cas d’un jeune qui attire l’attention sur lui, Pierre Biélande invite par exemple à se placer debout derrière sa chaise, tout en continuant naturellement la formation.
Lorsqu’un animateur ou un formateur « extérieur » arrive dans une classe, il arrive dans un « territoire » qui peut avoir été plus ou moins préparé. C’est très différent d’être accueilli formellement par l’enseignant titulaire, d’avoir été annoncé par la direction, d’avoir déjà rencontré les élèves dans un autre territoire… et de « débarquer » dans une classe sans que quiconque n’ait été prévenu, sans que les horaires aient été aménagés, etc. Il y a quelque chose de l’ordre de la « préparation » du terrain.
Rester « centré » et « parler vrai »
Le fait de ne pas se montrer énervé est assez fondamental dans la gestion des comportements dominants. Lorsque l’adulte se met en colère, il valide la dominance (le jeune a « gagné » : il obtient de l’attention, il déstabilise…). Il importe pour cela d’être bien « centré », c’est-à-dire de garder une posture droite, détendue, mobile. Il s’agit d’afficher une non-déstabilisation physique, corporelle.
Il faut pouvoir accepter de s’être énervé, si cela arrive. L’idée est de pouvoir canaliser ensuite son énergie pour faire avancer le groupe. De manière générale, quelqu’un de « centré » n’est pas « attaché » à ses objectifs : il peut « lâcher prise » sur le fait d’arriver ou non à respecter son programme, à « faire bouger le groupe ». Il s’agit d’une flexibilité d’esprit qui permet de lâcher la pression : personne ne réussit « à tous les coups ».
Pour ce faire, il est suggéré à l’adulte de prendre conscience de ses propres réactivités, de ce qui le met en stress ou provoque chez lui de l’émotion (ou même simplement de son humeur, son « état du jour »). L’adulte qui se connait et s’accepte soi-même est potentiellement moins perturbable, a plus de choix dans la situation.
Le fait de « parler vrai » soi-même peut contribuer à créer du lien et contrebalancer des dynamiques basées sur l’humiliation. Un animateur peut susciter un climat d’insécurité et d’intimidation par son attitude, s’il est lui-même méfiant, cynique, dans la toute-puissance ou l’impuissance. Au contraire, s’il parle avec bienveillance et confiance, il peut amorcer une autre dynamique, avec une « puissance tranquille » : pas besoin de « casser », d’humilier, de crier… pour prendre sa place dans le groupe.
Plaindre le jeune de son comportement
Jean Lerminiaux propose de se mettre en empathie avec le jeune et de le plaindre de son comportement, d’en être désolé pour lui, comme s’il ne pouvait pas faire autrement que d’agir comme cela. Par exemple :
- « je te plains de ne pas pouvoir faire autrement que d’agir ainsi (en « cassant » autrui, par exemple) »
- « c’est terrible, pour toi, de ne pas pouvoir faire autrement que de n’en avoir rien à cirer de tes cours »
- « je te plains de ne pas pouvoir faire autrement pour attirer l’attention que d’agir comme un caïd ».
Il s’agit de se montrer ensuite ouvert à la compréhension du vécu du jeune à l’origine du comportement. Le jeune a parfois besoin simplement d’être rassuré quant à sa place dans le groupe, notamment s’il y a un climat de classe insécurisant (brimades, moqueries, humiliations…). Il vaut alors mieux pour lui de brimer que d’être brimé.
A un jeune qui sort un couteau pour intimider : « Tiens, tu as besoin d’un couteau pour te défendre ». Il faut avoir peur pour sortir un couteau : « à ta place, j’utiliserais même un fusil ». Il ne s’agit pas d’ironie, bien que cela puisse décontenancer. Il s’agit de se connecter au ressenti du jeune, avec bienveillance et compassion, et de simplement dire les choses vraies (c’est-à-dire ce que ressent le jeune), sans jugement.
Dissiper le « stress » et les réactivités
Dans le même ordre d’idées que plusieurs pistes évoquées ci-dessus, il ne faut pas éliminer l’hypothèse que le jeune est « en stress » par rapport à la situation.
Par exemple, dans le cadre d’activités avec des dimensions relationnelles et affectives, le thème en lui-même peut susciter de l’inconfort. Idem s’il y a de l’ennui, du désintérêt, ou encore de l’insécurité dans le groupe. Tout cela peut susciter des comportements « de trouble ». Certains jeunes éprouvent des difficultés lors de moments d’incertitude, de transition, etc. Ils ont besoin d’être rassurés, accompagnés dans le changement, que l’on planifie avec eux…
Certains comportements visant en apparence à prendre du pouvoir et à déstabiliser l’adulte peuvent être aussi des manières de tester le lien (le jeune cherche à être apprécié par l’adulte), ou encore de la capacité de l’adulte à faire respecter le cadre (le jeune teste les limites car il ne voudrait pas qu’elles soient dépassées à ses dépens), par exemple. La déstabilisation n’est pas un objectif en tant que tel, il peut aussi être un moyen d’attirer l’attention, entre autres.
Dans ce cas, une intimidation n’est pas à voir comme une fin en soi, comme une guerre de territoire entre deux personnes, mais plutôt comme la manifestation d’un état émotionnel.
Contrecarrer les déstabilisations par des tactiques
Parfois, il convient d’utiliser la dérision ou d’utiliser des stratégies visant à décontenancer. Si l’adolescent s’attend à énerver l’adulte ou à être réprimandé, il peut être judicieux de demander au groupe de l’applaudir pour ce qu’il a fait, ou encore abonder dans son sens, par l’autodérision. L’humour peut être aussi un bon moyen de dédramatiser une situation, de ne pas entrer dans le jeu de l’escalade. Cela peut prendre la forme d’une exaltation, par exemple : « c’est formidable, tu es plus fort que moi, tu es plus fort que la direction, plus fort que tout le monde ! ».
Une autre manière de décontenancer le jeune consiste à lui dire qu’il a totalement raison d’agir comme il le fait : « ah, tu veux me faire peur avec ton couteau. Tu as bien raison ! A ta place, d’ailleurs, je ferais bien pire ! J’utiliserais un revolver ».
Ces stratégies de désarçonnement sont à utiliser avec prudence. Un point d’attention important est de ne pas liguer le groupe contre un individu.
Extrait du film « Detachment »
Développer un climat de groupe positif
Christian Bokiau invite à développer l’empathie des jeunes à travers des cercles de parole (ProDAS). Lors d’une discussion, chacun exprime par exemple une situation durant laquelle il a été victime ou subi du rejet. Chaque jeune exprime comment il s’est senti et comment ça s’est passé pour lui. Chacun a droit à la parole, à son tour. Il s’agit ici de faire confiance aux jeunes et de les responsabiliser par rapport à leur place dans le groupe, sur le long terme.
Développer un climat solidaire dans l’équipe éducative
Par rapport à des situations de crise, les adultes se sentent parfois démunis. Il est difficile de résoudre certains cas problématiques en étant seul. Or ce type de situation trouve d’autant plus d’issues positives qu’il est géré avec le soutien des collègues et de la direction.
Dans des équipes du domaine psychosocial, des réunions de partage de situations-problèmes ont lieu. Elles permettent de faire circuler l’information, de renforcer la cohésion éducative et la bienveillance ou encore d’envisager des pistes de solution.
Pour les adultes ayant en charge l’éducation de jeunes, il s’agit de nuancer la croyance qu’ils doivent pouvoir tout gérer seul. L’adulte peut se tromper, peut même parfois être confronté à des situations d’impasse, au moins temporaire.
D’un point de vue systémique, il y a des redondances entre les comportements d’intimidation observés chez les jeunes, entre les jeunes et les adultes, et parmi les adultes entre eux. C’est difficile d’instaurer une bienveillance au niveau des élèves si le cadre et le climat scolaire (y compris entre adultes) est hyper tendu, plein de non-dits, de compétition malsaine et de méfiance. Il y aura d’autant plus de cohérence et d’efficacité dans un projet d’établissement qui valorise le bien-être et le respect à tous les niveaux que dans des initiatives portées seulement au sein des classes.
2. Agir avec le cadre
Face à un comportement dominant qui nuit au bien-être ou au climat de groupe, le « cadre » est une porte d’entrée privilégiée de « gestion de crise » immédiate. L’adulte doit toutefois prendre garde de ne pas entrer dans une dynamique d’inflation des sanctions, comme si les règles servaient à asseoir sa propre domination. Dans cette optique, des pistes existent pour établir et appliquer des règles qui ont du sens pour chacun.
Les règles et les sanctions sont au service de la vie en collectivité. De ce fait, elles ne dépendent pas de l’adulte en charge de les faire respecter, de son humeur ou de ses caprices. Il en est par contre le garant aux yeux du groupe. L’autorité n’est pas l’abus d’autorité. Il s’agit d’un contrat entre les membres du groupe.
Le cadre de vie de la classe ou du groupe s’inscrit d’ailleurs lui-même dans une logique de respect des droits fondamentaux, tant pour soi que pour l’autre, pour le bien-être de tous. Le fait de dire la règle n’est pas un moyen d’oppression, mais au contraire de prendre soin du groupe.
Être intransigeant sur le cadre
Dans cette mesure, il est aussi intéressant de faire référence à un cadre, des règles qui préexistent et qui sont « au-dessus » et « au service » des individus. Ainsi, il est possible d’établir une charte de vie (voire de la construire avec des jeunes), basée sur le respect de la parole de chacun, le respect des biens matériels, la sécurité et l’intégrité physique de chacun…
Si un jeune frappe ou blesse avec les mots, il enfreint une des règles, et donc une sanction doit automatiquement y être assignée. C’est la règle. Lorsqu’il y a transgression, il y a sanction. Il n’y a pas à négocier, et aucun n’est au-dessus de ce cadre (pas même l’adulte, qui en est seulement un « garant » !). Cela permet aussi d’être dans l’action plutôt que dans la discussion.
Par rapport aux sanctions pour un comportement dominant nuisible au groupe et répété, une sanction « inconfortable » pour le jeune, y compris certaines formes d’isolement (qui peuvent priver le « dominant » de son auditoire, du regard des autres…), n’est pas à bannir totalement. Il s’agit d’une conséquence à son acte.
La balise importante que nous préconisons dans l’application des règles et des sanctions consiste simplement à éviter toute forme d’humiliation. Parfois, le simple fait d’exposer les conséquences désagréables potentielles en laissant le choix à l’individu est une solution. Ce n’est pas une affaire personnelle.
Pour Etienne Chomé, il faut résister à un positionnement spontané qui consiste à envoyer le message que « je suis le chef ». Face à un cas difficile à gérer, il est courant qu’il y ait une inflation des sanctions.
Le groupe comme garant du cadre
Lorsque les membres du groupe ont tous marqué leur accord par rapport à des règles fonctionnement, l’adulte peut d’ailleurs faire appel au groupe en cas de transgression du cadre.
Dans certains cas, il peut être intéressant de rappeler simplement que le cadre qui est mis à mal est au service du groupe, et donc d’acter que le groupe entier est « en souffrance » par rapport à la situation. Il s’agit simplement de montrer que la situation ne convient pas, de manière à responsabiliser chacun – tant ceux qui « font subir » que ceux qui « subissent » ou constatent des intimidations.
C’est une manière de demander au groupe dans quel cadre il souhaite évoluer, et de le rendre responsable de ce choix : souhaite-t-on se respecter mutuellement, pouvoir prendre la parole sans craindre d’être interrompu ou brimé, ou bien se permettre des moqueries, brimades ou tentatives de coercition au détriment de membres du groupe ?
Cela permet aussi de développer un cadre qui lui-même n’est pas imprégné de compétition. Comment espérer des jeunes qu’ils adoptent des comportements respectueux et coopératifs quand le cadre dans lequel ils évoluent les pousse à être « meilleurs » les uns que les autres ? L’environnement n’est pas toujours sécurisant : s’il est « inamical », il favorise les comportements d’intimidation…
En somme, le cadre doit être sécurisant, et de ce fait être clair, tant au niveau des règles que des objectifs (voire valeurs) auxquels elles sont liées.
3. Agir par le projet
En mettant les jeunes en projet, c’est-à-dire en partageant des objectifs qui ont du sens avec eux, il s’agit de les placer dans une posture active positive. Le leadership de certains n’est alors plus une entrave au fonctionnement du groupe, au contraire.
Mettre le « leadership » du jeune à contribution du groupe
La dominance n’est pas fondamentalement mauvaise. La situation est parfois instable et demande à trouver un équilibre, où chacun a une place qui lui convient. Il peut par conséquent être judicieux de valoriser la personne et de l’inclure dans une dynamique positive. De nouveau, rien n’empêche de verbaliser cela : « je constate que tu as de l’influence dans le groupe. Comment pourrais-tu la mettre à contribution positive ? Que proposes-tu ? Qu’en penses-tu ? ».
Créer une dynamique de groupe constructive peut aussi permettre de contrer les dynamiques d’étiquetage dans une classe. Lorsqu’un jeune est étiqueté comme « caïd », celui-ci peut avoir tendance à adopter des comportements problématiques qui vont conforter cette étiquette.
(Re)donner du sens
Par rapport à des jeunes parfois désœuvrés ou blasés, dont le comportement traduit davantage un manque de sens à « être là » que des tentatives de déstabilisation. Pour Paul-Henri Content, il importe de partager des questions existentielles avec les jeunes, de mettre en débat la question du bien et du mal, la question de la mort, la question du choix de ses actes, le « pour quoi » on est là…
Pour Etienne Chomé, cela nécessite d’avoir bien défini son « cap », ses objectifs, là où l’on veut aller avec les jeunes. Au cadre de droit (les règles) et à la communication authentique (la bienveillance) s’ajoute la négociation efficace, c’est-à-dire la mise en projet par des objectifs qui ont du sens, et qui permettent un rapport « gagnant-gagnant » dans la relation. Cela permet aussi de donner des expériences de réussite au jeune, de leur proposer des « petits pas » qui mènent à une image positive d’eux-mêmes.