Violence physique, verbale, psychologique, institutionnelle… Qu’en est-il de ces violences à l’école, à la garderie, à la maison de quartier, au centre ou encore à la maison de jeunes aujourd’hui ? Comment agir ? Comment gérer et décoder la violence ? Comment encourager des enfants, des adolescents à adopter des comportements appropriés et non-violents lors de différends et leur permettre ainsi de jouir d’une meilleure qualité de vie ?
Prévenir la violence chez les enfants et les adolescents : que dire et que faire ?
Par Christelle Lacour, initialement publié en 2010, dans le trimestriel de l’Université de Paix.
Violence et besoins : des liens possibles
D’où vient cette violence chez les jeunes mise en avant par les médias ? La violence est un phénomène humain fortement lié à la frustration et donc a fortiori à l’insatisfaction d’un besoin. Ces considérations ont fait l’objet de la création d’un schéma à l’Université de Paix. Ce schéma, appelé « cercle de la frustration » ou « cercle de la violence », est basé sur les travaux de Paul-Henri Content (licencié en psychologie sociale, formateur pour adultes, superviseur et thérapeute en psychologie humaniste), inspiré lui-même par les théories du besoin en psychologie.
Prenons un exemple concret. Arthur dit à Jason : « Eh ça va la machine à calculer ? » (NDLR : boutons d’acné sur le visage) en regardant les autres avec le sourire. Jason se lève et dit, les poings serrés : « Tu vas me le payer ! ». Plus tard, Arthur constate que les pneus de son vélo sont crevés. Si nous suivons la logique circulaire du schéma ci-dessus, nous pouvons imaginer qu’au départ, le besoin non satisfait de Jason est le besoin de respect, voire d’acceptation ou d’intégration dans le groupe. Ce besoin en souffrance amène rapidement de la colère envers Arthur : les sourcils se froncent, le rythme cardiaque augmente et les poings de Jason se serrent. Cette colère se transforme en intention hostile : « Tu vas me le payer ! ». Et le passage à l’acte violent de Jason (crever les pneus du vélo) peut se justifier à ses yeux par l’humiliation publique d’Arthur. Il se fait justice lui-même, en quelque sorte. En amont de ce bout de conflit, comment expliquer la violence verbale d’Arthur ? Et quelles conséquences au fait d’avoir crevé ses pneus en représailles ? Cet acte provoquera sans doute la frustration d’autres besoins chez Arthur (avec le risque d’escalade que cela implique), sans pour autant satisfaire le besoin frustré au départ chez Jason, à savoir le respect ou le souhait d’être accepté dans le groupe. Dans ce cadre, nous pouvons envisager que la violence est l’expression dramatique d’un besoin non satisfait. Dramatique, car elle permet rarement de combler le besoin qu’elle tente de faire reconnaître ou soigner. Au contraire, la violence appelle la violence. D’où l’idée de cercle.
Se positionner : se protéger et écouter
Mais alors, comment réagir en tant qu’adulte dans cette situation ? Heureusement, il existe plusieurs portes de sortie pour faire de ce cercle vicieux un cercle vertueux. Remontons un peu dans le temps et arrêtons-nous juste après la réflexion d’Arthur sur les boutons de Jason. La première chose à faire est de se positionner physiquement à la fois pour se protéger (en gardant une certaine distance ou en s’asseyant) et à la fois pour manifester de la bienveillance face aux émotions exprimées maladroitement (en utilisant le regard, une voix posée et des gestes ouverts). Prendre Jason et/ou Arthur à part, en dehors du regard du groupe, peut aussi favoriser l’apaisement face à la situation.
La prise en charge de la frustration de Jason peut alors se faire de différentes manières. Il est possible de l’écouter activement, à la façon de Thomas Gordon (docteur en psychologie clinique, psychologue humaniste, pionnier dans la conceptualisation de la résolution des différends gagnant-gagnant ou sans perdant) : « Tu es fâché de te faire traiter de machine à calculer ?» ou «Tu es triste qu’Arthur dise cela devant tout le groupe en souriant ? ». Autre possibilité, exprimer sa désapprobation à Arthur de façon assertive : « Je suis fâché et je ne suis pas d’accord que tu dises cela à Jason. C’est une question de respect » (Pour aller plus loin : écoute active).
La méthode de médiation « SIREP »
L’adulte peut également utiliser la médiation, grâce à la méthode SIREP (méthode de médiation, détaillée dans Négocier, ça s’apprend tôt ! (1997), Namur : Université de Paix.) :
- Stop pour gérer les émotions : «Je vous demande d’aller dans le coin émotions, de respirer comme nous l’avons appris, de faire tel exercice de décharge des émotions,… Quand vous vous sentirez mieux, nous pourrons reparler de cet événement.»
- Identifier le problème : «Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui a été dit ou fait réellement ? Comment te sens-tu ? Qu’est-ce que ça te fait ?» Il est important de donner la parole alternativement à chaque partie au conflit et de faire écouter en silence et reformuler l’autre partie (pour vérifier qu’elle a compris). Par ailleurs, nettoyer les jugements permet de repartir des faits, base de discussion constructive en gestion de conflits.
- Rechercher des solutions, les Évaluer pour en choisir une et Planifier la solution trouvée : « Que proposez-vous ? Quelle solution vous paraît la plus satisfaisante pour les deux ? Comment la mettre en œuvre : où, quand, comment, avec qui ? »
Un cadre sécurisant pour tous
L’écoute, l’expression assertive et la médiation sont particulièrement efficaces lorsque les choses semblent encore négociables, donc avant qu’un acte de violence verbale ou physique ait été posé.
Dans la sphère du « non négociable », il est par ailleurs intéressant de rappeler :
- la règle (exemple : « Je ne fais de mal ni à moi ni aux autres »).
- les sanctions possibles en cas de transgression : sanctions réparatrices en lien avec les conséquences de l’acte commis, comme s’excuser, reformuler les choses de façon acceptable, réparer les dégâts matériels causés, remplir une fiche de réflexion/réparation sur ce qui vient de se passer, etc.
Une fois l’acte de violence posé, il est très important de sanctionner, c’est-à-dire de faire assumer au jeune les conséquences de ses actions. Cette sanction n’empêche aucunement de faire un travail de fond, plus préventif comme celui qui est proposé précédemment : écouter, exprimer son point de vue adulte, inviter les parties à trouver des solutions, leur donner les moyens de décharger systématiquement leurs émotions…
Toutes ces techniques de communication constructives s’apprennent. Cet apprentissage demande du temps, c’est pourquoi l’Université de Paix a créé un programme de développement des habiletés sociales : « Graines de médiateurs II – Accompagner des enfants dans l’apprentissage de la gestion positive des conflits ».
Ce programme a été testé durant une vingtaine d’années dans plus de 200 groupes d’enfants et d’adolescents. Il consiste à accompagner les jeunes dans l’apprentissage des compétences qui permettent de prévenir la violence et de gérer les conflits. Grâce à « Graines de médiateurs », les jeunes apprennent à s’estimer, à faire confiance à l’autre, à prendre une place acceptable dans le groupe,… ces dimensions servant de piliers à l’édifice d’une paix solide et durable. Parallèlement, des équipes d’enseignants, d’éducateurs, de surveillants, de puéricultrices, d’animateurs suivent des formations leur permettant de remettre en question leurs attitudes et leurs pratiques adultes et de servir de modèle de référence «non violent» pour les jeunes qu’ils encadrent. La violence est un jeu qui se joue à plusieurs. Il est naturel qu’elle se déjoue à plusieurs également…