Il nous faut prendre soin de nos besoins mais il nous faut aussi comprendre que l’autre a des besoins qui sont différents des nôtres. L’être humain est en effet un être de besoins : il est en bute à des besoins nombreux et variés qu’il n’a de cesse de satisfaire. Sous certains aspects, on peut considérer que toute l’existence humaine peut se résumer à cette recherche permanente d’assouvissement des besoins.
Par François Bazier, initialement publié dans le trimestriel n°83, en 2003.
De nombreux auteurs, philosophes, psychologues, sociologues, ont développé des approches de l’homme centrées sur la notion de besoin. L’un des plus connus est certainement Abraham Maslow qui, dans les années 60, a élaboré une pyramide des besoins à cinq niveaux. Selon Maslow, la base des besoins humains est constituée des besoins d’ordre physiologique, comme respirer, manger, boire, dormir, fuir la douleur, avoir des relations sexuelles, etc. Au deuxième niveau, se situent des besoins tels que vivre en sécurité, se sentir à l’abri des intempéries, des agressions, des imprévus. Depuis l’homme préhistorique qui trouve refuge dans sa caverne, jusqu’à l’homme moderne fuyant la guerre, les catastrophes naturelles ou le non-emploi, le besoin de vivre sans peur dans un environnement sûr, ordonné, stable, s’est manifesté de diverses façons tout en restant essentiel. Ces deux niveaux de besoins ont été qualifiés de besoins fondamentaux, primaires : ils procèdent de l’animalité qui est en nous.
Les trois autres niveaux constituent une deuxième catégorie comprenant les besoins secondaires : ceux relatifs à la qualité de vie. Ainsi, au troisième type de besoins, figurent les besoins sociaux, d’appartenance et d’amour. Il s’agit de donner et recevoir de l’affection, échanger des relations intimes avec un conjoint, avoir des amis, faire partie intégrante de groupes cohérents, ne pas se sentir seul ou rejeté. Le quatrième niveau regroupe les besoins d’estime, de deux types : d’une part, l’estime de soi, reposant sur le fait de s’aimer soi-même, être fier de ce que l’on est et de ce que l’on fait, se sentir compétent, utile, capable de réussir ce que l’on entreprend; d’autre part l’estime de soi par les autres, être respecté et aimé par autrui, avoir un certain statut social et un certain prestige, être apprécié et reconnu. Au dernier niveau de la pyramide se trouvent les besoins de réalisation, appel à l’utilisation et au développement de tout notre potentiel et de tous nos talents, à devenir ce que l’on est capable de devenir par une mise à contribution de notre intelligence, notre imagination et nos aptitudes.
Structurer les besoins
Cette approche de la hiérarchie des besoins et l’idée que l’individu a pour but essentiel de les satisfaire ont permis de construire une intéressante théorie de la motivation. D’après Maslow, il est essentiel de satisfaire les besoins primaires pour que d’autres -secondaires- puissent se manifester et être assouvis. Aussi longtemps que les besoins primaires demeurent insatisfaits, ils monopolisent l’attention de l’individu, ce qui affecte son comportement. Et lorsque ces besoins de base sont comblés, de nouveaux surgissent, devenant des facteurs motivants. Sont alors libérées de nouvelles énergies qui poussent à l’action. Il faut également savoir que les individus montent ou descendent les niveaux de la hiérarchie des besoins. Ainsi, des événements stressants -perte d’un emploi, décès d’un proche…- peuvent faire renaître des besoins de sécurité chez un individu préoccupé depuis longtemps par la satisfaction d’autres besoins plus élevés. Le respect et l’admiration occupent, dans ces moments-là, une place secondaire : le souci de résoudre les problèmes prédomine.
Ces théories centrées sur les besoins ont eu le mérite de permettre une meilleure compréhension des subordonnés par leurs gestionnaires et d’envisager des pratiques de gestion basées sur des récompenses standardisées. Mais notre propos, ici, n’est pas de répondre à la question complexe de la motivation.
D’autres approches soulignent l’importance, pour chacun, de veiller à satisfaire ses propres besoins. Soigner ses besoins est une question de bonne santé, physique et psychique. On nous dira que nous avons le droit de donner et d’obtenir satisfaction à nos besoins, parce qu’ils font partie de nous.
Mais on retiendra aussi qu’il ne faut pas confondre simple envie superficielle et besoin primordial. Le vrai besoin se caractérise par le fait qu’il est personnel et entier et qu’il ne peut pas trouver de substitut, qu’il est vital. Ainsi, si j’ai soif, je peux trouver un dérivatif, penser à autre chose, mon besoin de boire est toujours là. Par contre, que j’aie envie de boire une coupe de champagne relèvera, dans cet exemple, davantage du registre de l’envie. D’où une éducation à opérer pour acquérir cette capacité à cerner, décoder et accepter ses propres besoins et également la faculté de pouvoir le faire pour l’autre.
Pour mieux gérer les conflits
À partir de là, la notion de besoin peut nous fournir une piste essentielle pour comprendre et gérer les conflits.
Pour faire bref, nous pourrons dire qu’un conflit est l’expression de besoins contradictoires. Ainsi, pour évoquer un conflit simple, non exceptionnel, entre deux collègues, l’un fumeur, l’autre non fumeur, partageant au quotidien le même bureau, l’on dira que fondamentalement l’un a besoin de sa dose de nicotine, l’autre d’air pur. Mais leurs besoins sont discordants et le conflit est susceptible de surgir. Et dégénérer si l’on n’y prend garde. Les protagonistes peuvent en effet, sans trop de difficulté, développer leur désaccord sur des considérations comme la liberté de chacun, le respect de l’autre, le droit à la différence. Ils pourront procéder par allusions ou s’envoyer des signes plus ou moins clairs : ouvrir la fenêtre, tousser, manifester de l’énervement. La seule issue – s’ils doivent continuer à partager le même espace – sera de négocier sur base de leurs besoins respectifs et de construire un accord qui les satisfasse. La mise à plat des besoins respectifs est une des conditions essentielles pour rendre possible la gestion des conflits interpersonnels.
Mais ce sera tout l’art de la négociation de pouvoir faire naître une solution acceptable pour chacun. Et cela, c’est une autre histoire.