Quels sont les enjeux de la prévention fondamentale dans l’organisation scolaire pour lutter contre le harcèlement scolaire ?
Une approche sociologique.
L’Université de Paix met en place des actions de prévention du harcèlement scolaire en tâchant notamment de développer un climat de vie agréable et serein à l’école. Pour Deklerck (1996 ; 2006), le travail sur le climat scolaire correspond à une forme de « prévention fondamentale ». Les sociologues rejoignent cette approche de manière unanime : les problèmes de climat scolaire sont une des causes identifiées des comportements violents entre élèves.
Par Noémie Godenir, étudiante en Master2 en sociologie et stagiaire à l’Université de Paix.
Dans la « pyramide de prévention » de Deklerck (1996 ; 2006), la base, qu’il appelle « prévention fondamentale », est orientée vers la qualité de vie générale.
Pour Deklerck, ce niveau orienté « bien-être » est essentiel pour obtenir de bons résultats de toutes autres mesures de prévention de la violence (Deklerck, 1996 ; Deklerck, 2006). Si l’Université de Paix prend ceci en compte dans ses interventions et formations pour lutter contre le harcèlement auprès des écoles, c’est parce que ces mesures de prévention fondamentale vont être primordiales pour créer un meilleur climat dans l’école et ainsi prévenir la violence.
Les sociologues rejoignent de manière unanime ce point de vue en montrant que les problèmes de climat scolaire sont des données importantes pour comprendre les comportements violents des élèves. L’école telle qu’elle est construite actuellement en Belgique n’est pas nécessairement empreinte d’un climat de paix et cela peut influencer les comportements des élèves.
L’école, constitutive de l’identité sociale
En effet, au-delà de sa fonction éducative, l’école joue un rôle déterminant dans la socialisation des adolescents et dans la formation de leur identité sociale (Barère, 2011 ; Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016).
L’adolescent va se former dans une école, confronté à ses pairs, mais aussi aux enseignants, aux règles, aux notes, aux choix ou contraintes d’orientations (Barrère, 2011)…
L’institution scolaire, ses discours ainsi que ceux rapportés par les adultes vont être des facteurs tout aussi importants dans la construction de l’adolescent que le rapport avec ses pairs (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016). Ainsi, l’institution scolaire joue un rôle concret dans la construction des comportements violents des élèves.
Un climat de pression scolaire : l’importance de l’évaluation
A l’école, l’adolescent se retrouve confronté à l’évaluation permanente et au jugement scolaire qui l’accompagne. Les adolescents ont conscience qu’une partie de leur avenir se joue à l’école et donc de l’importance des jugements négatifs sur leur avenir sociale. Cela va être à l’origine de ce que l’on appelle la « pression scolaire ».
Cette pression va être exercée par l’importance donnée à l’évaluation et la bonne orientation (Barrère, 2013).
La sociologue Anne Barrère (2013) observe que cette pression ne s’exerce ainsi pas seulement sur les élèves consciencieux, mais tout autant sur ceux qui paraissent inintéressés par l’école et qui s’investissent peu.
Les nombreuses évaluations qui régissent la vie des jeunes, l’orientation, ou encore les conseils de classes, vont être parfois vécus comme un « véritable tribunal ».
On peut ajouter à cela une dimension qualitative, comme par exemple à travers les annotations et les remarques des enseignants (Barrère, 2013).
De plus, aujourd’hui nous nous retrouvons dans un discours scolaire méritocratique par le travail. Il est d’autant plus dur qu’il est dit que « L’évaluation juge la réalité et la qualité d’un travail scolaire. Les élèves, davantage encore que les enseignants, raisonnent ainsi. L’idée qu’on ne peut réussir sans travailler, mais aussi que le travail peut « effacer » les inégalités sociales de départ est très forte. » (Barrère, 2013 ; P.35).
Les adolescents vont très souvent s’assimiler aux jugements que leur porte l’institution scolaire et vont souvent les considérer comme une évaluation d’eux-mêmes. L’école va donc influencer la manière dont l’adolescent se voit (Barrère, 2013). Les élèves vont éviter à tout prix l’étiquetage (Rayou, 1998) : « Ne présenter aucune aspérité permet de ne donner prise ni aux jugements des professeurs, ni, par contrecoup, aux appréciations des pairs. » (Rayou, 1998 ; P.96).
De plus, cette pression engendre malheureusement bien souvent de la compétition entre les élèves et divise les groupes. (Barrère, 2013)
L’orientation vécue comme une sanction
Le deuxième élément qui renforce cette pression scolaire est le choix d’orientation auquel doit faire face l’adolescent. On observe que ce sont généralement aux élèves présentant le plus de difficultés scolaires à qui l’on va demander de faire des choix le plus rapidement. Les élèves ayant les meilleures notes restent plus longtemps libres.
Le choix est alors vécu comme une sanction. De plus, les changements d’orientation sont vécus comme des échecs par les adolescents. Généralement, l’orientation est mal gérée par l’institution scolaire, il manque généralement des acteurs institutionnels comme des conseillers d’orientations (Barrère, 2011).
En plus de la pression engendrée par le choix de l’orientation, les adolescents font face à une hiérarchisation dans les choix d’options. Quand certaines matières sont valorisées, il est difficile pour l’adolescent de ne choisir qu’en pensant à ces goûts et aptitudes. Ces stéréotypes sont véhiculés par les pairs mais aussi par certains professeurs (Rayou, 1998).
La cohésion des enseignants et le regard bienveillant porté sur les élèves, deux remparts à la violence
Les sociologues ont aussi observé que les enseignants vont avoir un rôle important dans la construction des comportements violents des élèves. Plusieurs éléments sont mis en cause.
Premièrement, la cohésion entre les membres de l’équipe enseignante est quelque chose de primordial qui se ressent auprès des élèves. Des recherches (Gottfredson, 2001 par exemple ; Benbenshty et Astor, 2005 in Debarbieux, 2016) ont pu démontrer que « (…) la cohésion des équipes adultes était une des meilleures protections contre la victimisation à la fois pour les personnels et pour leurs élèves. » (Debarbieux, 2016 ; P.46).
Deuxièmement, dans leur enquête, Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al. (2016), observent que les adolescents ne trouvent pas souvent un adulte à qui parler. Le regard que porte l’adulte envers l’élève est très important. Anne Barrère souligne que les enseignants ne sont pas toujours attentifs aux vécus scolaires des adolescents qui peuvent parfois être très compliqués (Barrère, 2013).
Dès lors, il est véritablement important de pouvoir prendre en compte les souffrances des élèves mais aussi celles du personnel de l’institution scolaire. (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016)
L’attention insuffisante des acteurs des établissements scolaires à l’égard des adolescents
Selon Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al. (2016), ce contexte permettrait d’expliquer en partie les phénomènes de hiérarchisation des groupes de pairs. Ce mécanisme permettrait en effet aux adolescents de trouver une certaine valeur sociale qu’ils ne trouvent pas dans l’institution scolaire ou ailleurs. Ceci d’autant plus qu’ils n’ont pas confiance en l’école : « Bien souvent, les jeunes ont le sentiment d’avoir été trompés par le système scolaire et cette déception n’est pas sans effet sur l’école elle-même » (Duru-Bellat, 2006, P.50 in Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016 ; P.84).
Si l’école tient un rôle important dans la construction des comportements violents, les critiques adressées à l’égard du système éducatif ne condamnent pas les finalités, ni la compétence des enseignants qui sont généralement reconnus.
Les critiques portent davantage sur l’attention insuffisante que les acteurs des établissements scolaires portent aux adolescents. On va aussi reprocher aux enseignants des biais dans les évaluations, qui reflètent souvent un jugement sur l’élève en dehors de ses savoirs.
De plus, le professeur n’ayant que la copie de l’élève, le jugerait trop facilement sur son travail, comme preuve unique de la justesse, sans prendre en compte les difficultés qu’il peut rencontrer. A cause de l’impératif des programmes scolaires, les enseignants en oublient trop souvent les rapports humains (Rayou, 1998).
Dès lors, la base de la pyramide de prévention de Deklerck représente un enjeu important pour voir baisser les taux de violences à l’école, s’occupant de réintégrer une meilleure qualité de vie générale.
Bibliographie
Barrère, A. (2011). L’éducation buissonnière : quand les adolescents se forment par eux-mêmes. Paris: Armand Colin.
Barrère, A. (2013). Ecole et adolescence : Une approche sociologique.
Debarbieux, E. (2016). L’école face à la violence : décrire, expliquer, agir. Malakoff : Armand Colin.
Durif-Varembont, J.-P., Mercader, P., Léchenet, A., & Garcia, M.-C. (2016). Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée. Toulouse : Erès Editions.
Rayou, P. (1998). La cité des lycéens. Paris : L’Harmattan.