Depuis quelques mois, nous recevons de plus en plus de demandes d’écoles ou de parents pour intervenir à propos du phénomène du « cyberharcèlement ».

Il est réducteur et biaisé d’aborder cela comme un problème totalement neuf et spécifique, confiné sur les réseaux sociaux. En effet, le web n’est en réalité qu’un nouveau « territoire » où s’inscrivent et se prolongent les relations.

Les études ne permettent pas de dire qu’il y a plus de harcèlement qu’avant. Par contre, celui-ci est peut-être plus « visible » étant donné que certains cas sont publics, sur les réseaux sociaux. Dans « cyberharcèlement », il y a « cyber » et « harcèlement ». Chacune de ces dimensions mérite que l’on s’y attarde.

Le « cyberharcèlement » n’est pas un phénomène totalement neuf ou isolé : pour y faire face, nous privilégions une approche intégrée.

Les « ingrédients » du harcèlement (entre élèves)

Pour comprendre le harcèlement sur les réseaux sociaux, il faut donc d’abord comprendre le harcèlement tout court. Comme l’explique Alexandre Castanheira, le harcèlement entre élèves (appelé school bullying en anglais) présente plusieurs caractéristiques assez précises. Généralement, les spécialistes affirment qu’un jeune est victime de harcèlement lorsque :

  • il est soumis de façon répétée et sur une certaine durée à des comportements perçus comme violents, négatifs, agressifs de la part d’une ou plusieurs personnes ;
  • il s’agit d’une situation intentionnellement agressive qui vise à mettre en difficulté la victime ;
  • il y a une relation de domination psychologique telle que la victime n’est pas en mesure ou ne se sent pas en mesure de sortir de ce rapport de force, de se défendre.

Une autre dimension importante de ce phénomène réside dans sa nature « groupale ». Contrairement à d’autres formes de violence à l’école, les cas de harcèlement ont lieu en présence et grâce au groupe de pairs, les « témoins ». La plupart du temps, le « harceleur » va rechercher, grâce à une instrumentalisation du rire, à renforcer sa position dominante dans le groupe en agissant devant des témoins. Certains rallient le « harceleur » (les « suiveurs »), d’autres ne présentent pas de positionnement clair (« outsiders ») ou ne voient rien, d’autres, enfin vont chercher à secourir la victime (« sauveurs »). Dans tous les cas, ceux qui n’agissent pas pour stopper le harcèlement renforcent celui-ci.

Une stratégie efficace de prévention consiste précisément à agir sur les « outsiders » en leur donnant les moyens et les compétences pour s’impliquer afin de faire cesser la situation de harcèlement.

En conséquence, pour travailler la question du harcèlement, nous privilégions une approche des relations et de la communication en groupe. Celle-ci vise à développer l’empathie des jeunes, à les sensibiliser de manière spécifique au harcèlement, à leur faire expérimenter des pratiques coopératives, etc. C’est pourquoi nos programmes d’intervention proposent une approche intégrée, comprenant un travail sur le bien-être et les relations harmonieuses en groupe. Autrement dit, des mesures curatives et des activités de prévention sont envisagées (sensibilisation, réflexion sur le phénomène, analyse de celui-ci, etc.) par rapport au problème, mais elles sont en lien avec une réflexion qui les englobe, sur le « vivre ensemble », les relations et la communication. Une attention est portée aux dynamiques de groupe dans un cadre plus large et à des activités visant à construire du lien et développer les compétences sociales et émotionnelles chez les élèves, que ce soit en secondaire, en primaire ou en maternelle.

> Pour aller plus loin, lire les pistes d’intervention relevées par A. Castanheira

> Cf. également Travailler le relationnel à l’école : au-delà des mesures « curatives »

Les relations sur les réseaux sociaux

Un autre angle d’attaque consiste à comprendre les relations sur les réseaux sociaux. En quoi sont-elles différentes ? Qu’est-ce qui change, quels sont les impacts des nouveaux médias sur nos relations ? Si l’on se contente de les aborder par le prisme du cyberharcèlement, là encore, on n’a qu’une vision tronquée du phénomène.

Comme expliqué dans Comprendre les relations numériques, la plupart des pratiques sur le web ont une dimension relationnelle : commenter un statut ou un article, chatter, tweeter, « liker » un contenu, partager un article ou une opinion, etc. Même les jeux en ligne et les applications suscitent une forte interaction entre les joueurs, qui soit y retrouvent leurs amis, soit y tissent des relations nouvelles. Internet n’est pas un monde à part, mais un « nouveau territoire » dans lequel se jouent nos échanges avec les autres…

Le web est aussi le territoire de dérives plus ou moins conséquentes à ces niveaux. La violence n’est pas née avec les technologies, mais elle s’y manifeste différemment.

Un phénomène de harcèlement peut acquérir une autre visibilité sur le web. C’est différent d’exprimer un désaccord lors d’une discussion à deux ou bien de le faire en réaction à un statut public posté par une personne. Dans ce second cas, il est parfois plus difficile de savoir qui va nous lire et donc de prévoir les impacts de ce que l’on dit. De surcroit, il y a un coté « spectaculaire » aux échanges, au sens où les gens qui débattent le font devant des spectateurs (les « témoins », « suiveurs » ou « outsiders », dans le cas de harcèlement).

Ensuite, le web est un territoire qui nous entoure en continu. Les cas de cyber-harcèlement correspondent en général à des cas de harcèlement « classique » qui se prolonge via les réseaux sociaux [à propos du harcèlement entre jeunes, lire les articles de fond sur notre site]. Cela peut avoir des conséquences dramatiques étant donné que le harcèlement pouvait autrefois être confiné dans le domaine du travail ou de l’école, et donc renforcer la sensation d’impuissance des individus en position de victime, dans un cadre où l’on ne sait pas très bien qui est témoin de quoi. A contrario, cet espace de visibilité peut permettre d’identifier les cas de harcèlement (attention cependant aux décodages hâtifs), pour peu que les intervenants éducatifs ne considèrent pas que ce qui se passe en ligne n’a rien à voir avec ce dont ils sont supposés s’occuper.

Plusieurs autres dimensions font que les relations numériques sont multiples et complexes. Il y a la possibilité d’utiliser l’anonymat (typiquement, à l’occasion de commentaires haineux), de « jouer un rôle », etc.

> Pour continuer la réflexion lire aussi Comprendre les rel@tions numériques

Le cyberharcèlement : au-delà de la lutte « anti-symptômes »

Beaucoup de sources proposent plusieurs moyens pour lutter contre le harcèlement en ligne. Même les réseaux sociaux s’y sont mis : Facebook et Twitter informent sur ses options de confidentialité et le fait de signaler les contenus, Ask.fm (dont le fonctionnement a été pointé du doigt suite à des cas de harcèlement ayant abouti à des conséquences dramatiques) propose d’empêcher les commentaires et questions anonymes, etc. Certains « éducateurs » proposent des animations ou sensibilisations à ce qu’ils identifient comme étant des « dangers du web ».

Ce faisant, ces acteurs luttent contre les symptômes, et non les causes.

Lorsque votre batterie est faible sur votre portable, vous pourriez recharger la batterie (travailler sur les causes) ou vous pourriez faire disparaître la petite icône qui représente la batterie (éliminer le symptôme). En éliminant le symptôme, vous serez peut-être moins incommodé-e-, mais vous n’avez pas réglé le problème.

La plupart des acteurs de la prévention et de l’intervention par rapport aux cas de harcèlement s’accordent désormais pour privilégier ce type d’approches intégrées, et non seulement des interventions qui se contentent de moraliser ou d’éliminer les symptômes d’un phénomène qui peut avoir des conséquences très graves.

Pour aller plus loin :