Sommes-nous tous égaux face au conflit ? Qu’en dit la théorie de l’attachement ?
Un article rédigé par Marie-Noëlle de Theux-Heymans, Psychopédagogue, Formatrice d’adultes formée à la théorie de l’attachement, initialement publié en 2011, dans notre trimestriel.
Dernièrement, j’ai eu l’occasion d’observer une classe d’enfants de maternelle durant leur récréation. Un enfant, que nous appellerons Paul, utilisait le petit vélo convoité de tous et était bien décidé à le garder durant toute la récré. Mon attention a été attirée par la diversité des réactions des autres enfants qui souhaitaient également utiliser le vélo. Marie attrape le guidon, pousse Paul. Paul la repousse; Marie ne lâche pas prise. L’institutrice arrête les enfants en leur signalant ces comportements trop violents. Un peu plus tard, Aloys qui observe Paul depuis un bout de temps, profite d’un arrêt de celui-ci pour lui demander le vélo, et s’efface après le refus de Paul. A la fin de la récré, un autre enfant fait un croche pied à Paul et lui dit : « Je m’en fous de ton vélo, tu le gardes tout le temps pour toi. Tant pis, je m’en fous à fond ! »
Qu’il s’agisse de Paul, Marie, Chloé ou Aloys, ces enfants vivaient le même désaccord : utiliser le vélo. Et pourtant, ils ont abordé cette situation de manière bien différente. Plus largement, il nous arrive de repérer dans les groupes d’enfants (et de plus grands…) des personnes qui ont l’art de gérer les situations conflictuelles en souplesse et d’autres qui « entrent » en bagarre ouverte; ou encore d’autres qui s’effacent… Certaines personnes auraient-elles davantage de ressources pour gérer positivement un conflit ? Comment favoriser ces ressources auprès des enfants que nous côtoyons en tant que parent, éducateur, enseignant,…
Une lecture de la situation via la théorie de l’attachement
> La recherche de sécurité avant tout
Parler d’attachement dans la théorie de l’attachement renvoie à une notion un peu différente du langage courant. Nous dirons d’un enfant qu’il est attaché de manière sécure lorsque, en cas de détresse, il se tourne spécifiquement vers la personne qui s’occupe le plus de lui : il recherche sa proximité afin d’être apaisé et rassuré (Bowlby, 1996). Ainsi, l’attachement est un lien affectif très particulier durable, non interchangeable et unique entre deux personnes (Ainsworth, Blehar, Waters & Wall, 1978). Pour illustrer ce propos, pensons au premier réflexe d’un enfant lorsqu’il a peur ou lorsqu’il se fait mal.
> Rechercher la sécurité pour survivre
Le nourrisson naît immature à la naissance. Des soins attentifs d’un adulte bienveillant sont indispensables à sa survie. La protection et la sécurité constituent un besoin fondamental du nourrisson. Ce dernier est heureusement doté de tout un « équipement » (pleurs, cris, mimiques) qui lui permet d’appeler à l’aide lorsqu’il ressent un malaise, encourageant l’adulte à se rapprocher de lui (Bowlby, 1996). Toute physique au départ, cette recherche de proximité évoluera vers une recherche de disponibilité de l’adulte qui s’occupe le plus de lui créant ainsi les fondements du sentiment de sécurité intérieure.
> Se construire une image du monde et de soi-même
Lorsqu’il vit un stress, il active son « programme » d’appel. Dans le meilleur des cas, un adulte s’approche de lui et l’apaise. Jour après jour, il enregistre ces expériences de stress et d’apaisement. Il repère qu’un adulte particulier s’occupe plus souvent de lui : il dirige alors sélectivement ses comportements d’attachement vers sa figure d’attachement. Intériorisant le cycle d’éveil et de détente, il intègre la notion de « sécurité ressentie », prémisses des capacités de régulation des émotions et comportements (Bowlby, 2011; Schoffield & Beek, 2006).
Cycle d’éveil et de la détente ou cycle de la confiance (Fahlberg, 1988 cité par Schoffield & Beek, 2006; Lemieux, 2004)
Peu à peu, il se forge représentations et croyances à propos de lui-même et des autres (Lemieux, 2004) :
- Je suis important.
- Les adultes sont dignes de confiance.
- L’univers est « cool », sécuritaire et intéressant à explorer.
- Se montrer « faible » ou malade ou vulnérable n’est pas dangereux.
Les représentations d’attachement présenteront des différences individuelles en fonction de la qualité du mode d’appel de l’enfant et du mode de réponse de cet adulte préférentiel.
> Se sentir en sécurité pour explorer, risquer, oser
L’enfant est également doté d’un système qui le pousse à découvrir son environnement et à se tourner vers les inconnus, le système exploratoire. Ce dernier s’active lorsque l’enfant se sent en sécurité et s’éteint lorsqu’il se sent effrayé ou en détresse. Le système d’attachement et le système exploratoire sont antagonistes. L’enfant, qui aura intégré qu’il peut venir se réconforter chez sa figure d’attachement en cas de détresse, pourra se fier à ses parents comme une base de sécurité dont il part pour explorer le monde et comme un refuge qui lui procure réconfort et sécurité lorsqu’il est en détresse (Ainstworth et al., 1978, Bowlby, 2011).
> Voir aussi : le cercle de la sécurité (Marvin, Cooper, Hoffman, & Powell, 2002)
Il a été observé que la qualité de l’attachement a un impact sur le développement de l’enfant dans la mesure où les représentations d’attachement vont servir de filtres à travers lesquels l’individu interprète les nouvelles expériences (Bowlby, 1996). Les enfants sécures gèrent les situations de manière plus autonome, sont plus compétents au niveau socio-relationnel (Weinfeld, Sroufe, Egeland & Carlson, 2008). La sécurité de l’attachement pendant la petite enfance constitue un facteur protecteur important pour l’individu qui est plus à même de fonctionner adéquatement, même dans l’adversité (Miljkovitch, 2009).
S’agirait-il d’une fatalité ?
Ou, pour paraphraser certains best-sellers, qui ont marqué les esprits : tout se jouerait-il avant un an ?
Non, heureusement non ! Bowlby (2011) insiste pour dire que l’attachement se construit durant toute la vie. Les croyances peuvent évoluer, se modifier en fonction des expériences vécues par l’enfant. Pour l’adulte de référence de l’enfant, il s’agira de chercher à être une base de sécurité pour l’enfant.
Retour dans la cour de récréation
Pour l’enfant qui cherche à obtenir le vélo de Paul, oser dire son désaccord, traverser les émotions inhérentes à la situation de conflit, se sentir capable d’obtenir le vélo, nécessite d’avoir expérimenté que cela est possible avec un minimum de sécurité; qu’il a des ressources pour gérer des situations de stress et qu’il est entendu en situation de difficulté.
Pour le parent, l’enseignant, l’éducateur, soutenir la capacité des enfants à gérer positivement des conflits consisterait alors à leur offrir des situations où ils expérimentent cela. Comment fournir cette base de sécurité à l’enfant ? Quelles sont les clés qui aideront l’adulte à montrer la sensibilité nécessaire à l’enfant ? Quelles grilles d’observation pour comprendre le besoin spécifique de sécurité de l’enfant ?
Vivre un conflit peut représenter un stress. En construisant avec l’enfant la confiance dans la disponibilité d’une base de sécurité, l’adulte lui offre aussi la possibilité d’explorer de nouveaux modes de gestion de ses conflits. En ce sens, la théorie de l’attachement offre une grille de compréhension de l’enfant particulièrement éclairante.
Pour aller plus loin…
- Bowlby, J. (1954). Soins maternels et santé mentale, Cahiers de l’O.M.S., Genève.
- Bowlby, J. (2011). Le lien, la psychanalyse et l’art d’être parent (Wiart Yvane, Trad.). Albin Michel (œuvre originale publiée en 1988).
- Guédeney, N. (2010). L’attachement, un lien vital. Bruxelles : Flabert édition et Yapaka.be, Col. Temps d’arrêt/lectures.
- Lemieux, J. (2004). L’adoption internationale, démystifier le rêve pour mieux vivre la réalité. Montréal : Le monde est ailleurs inc.
- Miljkovitch, R. (2009). L’attachement au niveau des représentations. In N. Guédeney & A. Guédeney (Eds). L’attachement : approche théorique du bébé à la personne âgée (p. 39-48). Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson.