Quelle(s) piste(s) pour l’accompagnateur du changement ? Comment l’accompagner en douceur, vers un nouvel équilibre, plus satisfaisant ?
Cet article est une adaptation du dossier sur la résistance au changement issu de la réflexion du Conseil académique en gestion de conflits et en éducation à la paix.
Autoriser les personnes à vivre leurs peurs
A la base de ce qui est perçu comme une résistance au changement, il y a des préoccupations. Le sens (« pour quoi ») du changement n’est pas perçu : « en quoi est-ce utile de changer ? Qu’ai-je à gagner ? Qu’ai-je à perdre ? »
Une personne peut culpabiliser ou avoir peur de ses propres peurs. Cela implique pour l’accompagnateur de créer un espace sécurisé sans jugement par rapport à ces peurs, et donc d’être dans une forme de bienveillance empathique avec l’individu : « Si l’individu ne veut pas changer, c’est qu’il a d’excellentes raisons de ne pas le faire ». Il doit y avoir une acceptation inconditionnelle de ce qu’amène la personne accompagnée. Cela implique une posture d’écoute.
De plus, la peur par rapport à l’inconnu est un processus normal. Chacun est « préoccupé » dans une certaine mesure, en fonction de ses besoins vitaux ou de sa place dans le système.
Ensuite, il s’agit d’identifier les croyances qui sous-tendent les peurs. Que craint la personne de rencontrer de mauvais ? Que craint-elle de perdre de bon ?
L’idée est d’aller questionner les histoires que la personne se raconte à elle-même, en allant voir en quelque sorte « l’enfant intérieur » de cette personne. Il s’agit d’identifier les peurs (de les explorer, de les accueillir) et donc d’être dans un cadre de confiance, puis ensuite de distinguer les croyances qui les sous-tendent. Par rapport aux peurs des managers et à leur prise en charge, notamment, cf. Conseil académique en gestion des conflits et en éducation à la paix, Le management émotionnel, Namur : Université de Paix asbl, 2016.
Après seulement, on interroge la raison d’être de ces croyances : reposent-elles sur des faits ou sont-elles fantasmatiques ? Dans quelle mesure ces croyances sont-elles utiles (ou « limitantes ») dans nos choix ? Est-il possible d’adopter d’autres croyances qui nous permettront d’autres choix ?
En équipe : créer un esprit collectif et travailler la motivation
Il est important de collectiviser les peurs et ce qui ne va pas bien, mais aussi les joies et les réussites… L’homéostasie du groupe n’est pas l’homéostasie individuelle. De plus, chacun des membres peut avoir des peurs liées à ce qu’il se représente comme son « territoire », sa « zone de confort ». Créer des espaces qui permettent non seulement de partager les peurs et les critiques, mais aussi les réussites collectives et les joies permet de créer un esprit collectif plus fort et de diminuer les craintes. Il s’agit de rassurer chacun quant à sa place dans la collectivité.
Le travail sur les réussites et les bonnes nouvelles est un aspect négligé de certaines méthodes de gestion. Bien que cela soit a priori le plus agréable, cela ne va pas de soi. Il faut casser le paradigme selon lequel c’est normal de « faire son job correctement », comme si tout ce qui allait bien coulait de source.
Ce travail sur le long terme permet un terreau fertile pour développer la confiance pour se dire aussi ce qui ne fonctionne pas. Cela permet aussi de la reconnaissance mutuelle. Beaucoup d’attention et d’énergie sont consacrées à ce qui va « mal ». A un moteur « négatif » du changement (les inconforts, auxquels se heurtent les peurs de changer), on appose un moteur « positif », axé sur les motivations. A ce sujet, cf. notamment Kourilsky, F., Du désir au plaisir de changer, 1999.
Le fait qu’il y ait un minimum de gens qui partagent une volonté positive (une motivation) de changement ou d’amélioration, qui aspire à « bouger », nous semble être une condition importante du changement.
Le plaisir est un moteur de changement et de conditionnement avéré. Il est important de travailler sur le plaisir et non seulement sur les « freins » par rapport à une situation insatisfaisante. Lorsqu’une personne décide de changer, ou au contraire éprouve des difficultés à sortir d’une situation qui lui cause de la souffrance – y compris pathologique, prendre conscience de ce qui lui procure ou non du plaisir dans la situation actuelle ou imagée est un postulat de travail très fécond.
Mettre dans une posture d’acteur par rapport au changement
Les personnes ne sont pas toujours en demande active de changement. Un participant à une formation ou à un coaching en développement personnel est parfois en « attente » de solutions toutes faites. Dans cette posture, elle ne se visualise pas toujours en train de les mettre en actes, et peut plutôt se référer à ce qui pose problème dans sa situation. Une méthodologie consiste à faire travailler les individus sur leurs « défis », leurs « questions », ce qui les mobilise, ce sur quoi ils souhaitent travailler, plutôt que sur leurs « attentes » (qui supposent une posture plus passive).
Le changement implique un processus volontaire. Parfois, le commanditaire d’une intervention (formation, supervision d’équipe, etc.) pense que les personnes dont elle a la charge souhaitent changer, or ce n’est pas toujours le cas, du moins pas dans la direction impulsée. Le fait que les individus soient « preneurs » ou non d’au moins amorcer un processus de changement est primordial dans cette optique. Un postulat est que plus les acteurs sont impliqués dans le changement, moins il y aura de blocage. Cela implique de bien diagnostiquer les demandes d’intervention visant à accompagner le changement.
D’une manière générale, nous soulignons la pertinence de créer des contextes propices à un changement constructif. Nous rappelons à ce titre qu’il est possible de travailler à la fois sur trois dimensions :
- Le cadre de droit, garant d’une équité, d’une justice, d’une liberté des individus
- La communication vraie, bienveillante, accompagnant le processus d’expression et d’accueil des peurs, des ressentis, des émotions, des préoccupations…
- La négociation efficace, afin de trouver des solutions « gagnant – gagnant », permettant de maximiser les gains des parties
Modèle brièvement présenté dans la note suivante : Conseil académique en gestion des conflits et en éducation à la paix, Le management émotionnel, Namur : Université de Paix asbl, 2016.
Se représenter le processus du changement
« Le changement, c’est comme la traversée d’une rivière ». Il y a plusieurs étapes dans le processus de changement. D’abord, cela implique de profiter de la rive où l’on est, de l’observer. On ne voit pas toujours ce qui nous attend sur la rive en face. Il faut commencer par mettre un pied dans l’eau. Plus on avance, plus des craintes et questions peuvent émerger : lorsqu’une personne est au milieu de la rivière et qu’elle ne voit toujours pas l’autre rive, elle peut paniquer, se demander le sens que ça a, vouloir faire demi-tour. Ensuite, on voit ce qu’il y a en face…
Cette métaphore illustre le fait qu’un changement, surtout au niveau collectif, n’est pas instantané et que les individus ne sont pas toujours tous au même stade de changement les uns que les autres. Il peut être judicieux de passer par cette métaphore avec un groupe, et de leur faire vivre les différentes étapes en sous-groupes.
L’accompagnateur demande à chacun comment il se sent et ce qu’il pourrait faire pour se sentir mieux, ou de quoi il aurait besoin pour être rassuré ou continuer à avancer. Cela permet aussi de fournir un langage commun pour parler du changement, de ses étapes et des perceptions de chacun.
Prendre en compte les préoccupations des acteurs
Plutôt que de « résistances » au changement, Céline Bareil préfère parler de préoccupations. Ce sont des signaux qui permettent de situer un collectif par rapport aux différentes phases du changement. Tous les individus n’ont pas tous les mêmes préoccupations en même temps : au plus elles seront partagées, au plus l’équipe sera en phase. Il est néanmoins possible de travailler avec chacun en fonction de ses préoccupations à un moment t du processus.
La métaphore de la rivière permet aussi de créer du sens et de raconter une histoire commune, ce qui est important au sein d’une collectivité. Il s’agit de « faire culture commune » autour d’un vocabulaire partagé. Celui-ci pourra être utilisé par les acteurs concernés par le changement tout au long de sa mise en place.
Identifier les obstacles et les ressources
Une autre manière de parler des préoccupations consiste à identifier les représentations des motivations et des capacités de chacun. Quelles sont les ressources ? Quels sont les obstacles ?
Capacité | Je peux | Je ne peux pas | Par rapport aux autres |
Par rapport aux choses | |||
Motivation | Je veux | Je ne veux pas | Par rapport aux autres |
Par rapport aux choses |
Des outils pour accompagner le changement
De nombreuses modélisations existent. En partant de l’idée des préoccupations (Bareil, op. cit), nous pouvons travailler collectivement avec une équipe en procédant en une classification de ce qui entoure le problème et les changements potentiels :
- Ce qui pose problème (perceptions des acteurs, représentations des gens)
- Préoccupations, peurs, inquiétudes, objections
- Solutions simplistes ou ayant échoué
- Faits objectifs
Comme de nombreuses grilles visant à accompagner le changement collectif, ceci a plusieurs objectifs :
- Développer un langage commun
- Mettre à plat les représentations
- Permettre d’exprimer les non-dits, les malentendus, les besoins
- Permettre une autorégulation, entre autres par la prise de conscience générée
Cela peut tout aussi bien fonctionner sur base de la grille des motivations et des capacités, ou encore via l’image du processus du changement sous forme de rivière à traverser. L’enjeu est de permettre à un collectif de s’exprimer, de reconnaître les peurs et les préoccupations, tout en relativisant les interprétations et les malentendus. Il s’agit aussi de pouvoir faire la part des choses entre les faits et ce qui fonctionne bien et les peurs ou freins exprimés.
Identifier et formuler les objections au changement
En sociocratie, au sein de chaque cercle, les membres sont équivalents et sont donc de ce fait à la fois libres et responsables des décisions qui les concernent directement. Chacun peut formuler des objections par rapport à un changement à mettre en place. Or, quand une personne formule son objection, il s’agit de l’argumenter, d’expliquer ce qui lui pose problème et qui l’empêche de consentir au projet. C’est un processus constructif : si je dis non, je dois assumer ce non. Cela permet aussi de diminuer les tensions relatives aux non-dits ou aux peurs. Parfois, le simple fait de pouvoir exprimer son point de vue par rapport à un changement peut apaiser les résistances.
Faire vivre du changement, expérimenter le mouvement
Une personne mandatée pour accompagner le changement peut faire expérimenter des situations par cette personne ou ce groupe, physiquement parlant. Il s’agit de représenter la « scène » de manière virtuelle, de s’y déplacer, de la mettre en mouvement, et de voir ce que cela engendre ou procure : « quand tu fais cela, qu’obtiens-tu ? De quoi aurais-tu besoin ? Que pourrais-tu faire alors ? ». Par le mouvement, il s’agit aussi littéralement de « créer de la souplesse ». Qui dit « résistance » dit rigidité, effort. En créant une forme de détente au niveau corporel, l’individu est dans une posture plus propice à l’acceptation du changement.
Prolongement : le cas d’un individu qui freine le groupe
Donner le choix de rester ou de partir
On ne peut forcer une personne à changer contre sa volonté. Si un individu adopte une posture qui sabote les apprentissages ou l’avancée d’un groupe qui souhaite changer, alors il convient de lui donner le choix de partir ou de rester. Rien ne l’en empêche. Il s’agit de verbaliser le choix et l’opposition. Le contrat tacite est que si l’individu reste, ce n’est pas pour faire du présentéisme ou bloquer le groupe. La personne qui choisit de rester ne le fait pas parce qu’elle a été obligée d’être là (ce qui peut être le cas lors de formations imposées au personnel par exemple) : cela change sa posture. Le fait de rester alors qu’on a le choix, c’est rentrer dans un processus volontaire et non plus subi.
Accueillir avec bienveillance une posture d’opposition
Il s’agit de pouvoir fournir une écoute bienveillante y compris envers les individus qui se placent en opposition frontale avec les contenus ou les processus proposés. Si une personne soupire pendant une formation, je peux avoir de la compassion pour elle et comprendre que cela doit être épuisant pour elle. L’empathie autorise la personne à ressentir ce qu’elle ressent, et peut par conséquent aussi lever des peurs.
Face à une contestation ostensible, il s’agit de postuler qu’elle est due à une frustration, à une préoccupation, ne serait-ce que celle de prendre sa place dans le groupe.
D’autres résistances sont dues à des perceptions de la situation : le sens n’est pas perçu (« tout va bien pour moi, je ne devrais même pas être ici ») ou il y a des difficultés au changement.
Certaines résistances ne sont pas orientées contre l’animateur ou le chef, mais témoignent de frustrations « extérieures » : à ce moment-là, la personne n’a juste pas envie d’être là. Elle est peut-être fatiguée, éreintée par son quotidien, préoccupée par autre chose.
Varier les registres et les rythmes
Parfois, une personne ou un groupe n’est pas preneur d’une activité ou d’un contenu pour des raisons indépendantes de la volonté de changer ou non. Passer d’un jeu de rôle à une mise en situation ou à une analyse ou à un exercice par le corps peut changer la dynamique du groupe et ancrer différemment des apprentissages.
Accepter que le groupe ne bouge pas
En tant que gestionnaire ou formateur, on peut avoir des objectifs personnels : « j’ai envie que mon groupe bouge ». Un formateur veut apprendre des choses à ses participants. Un manager pense à des solutions pour résoudre des soucis dans son équipe. Parfois, le groupe n’est simplement pas preneur, ici et maintenant. Une des pistes proposées consiste en un travail sur soi-même pour sortir de la posture de « celui ou celle qui veut convaincre ». Il s’agit de pouvoir se détacher de son programme, de ses objectifs, pour accueillir ce qui vient, ce qui émane du groupe, quitte à voir une résistance plutôt comme une opportunité pour le groupe, justement, d’avancer ensemble… Cela rejoint la logique martiale de l’aïkido, qui vise à accompagner le mouvement plutôt que d’aller à son encontre…