Par Vincent Philippe HACKEN, initialement publié dans le trimestriel n°95, en 2006.
Quand on parle de la loi, de la règle et du rapport que nous entretenons avec elle, nous entrons dans une des dimensions les plus complexes de notre réalité humaine. En effet, nous entrouvrons par ce biais l’ensemble de ce qui permet, structurellement parlant, à des hommes et à des femmes de vivre ensemble, de grandir et de s’émanciper.
Si la question de la loi est au cœur de l’organisation de la cité des hommes – depuis des lustres, philosophes et politologues débattent de la question – la problématique est tellement large et complexe en ses ramifications que les psychosociologues, les pédagogues, les anthropologues, les éthologues et les psychologues de tous poils se sont penchés sur la question.
C’est que la loi est au cœur de chaque dimension de nos existences.
En effet, elle est, en son sens le plus large, une superstructure qui organise nos rapports sociaux et sociétaires, superstructure à laquelle nous devons rendre des comptes (dans le regard du législateur comme dans celui de la culture dont nous sommes issus).
Mais elle est aussi, en sa dimension la plus intime, comme une infrastructure profonde dans la construction de nos vies et de nos identités, infrastructure dont nous ne sommes parfois qu’à demi conscients mais qui détermine grandement nos positionnements et nos choix de vie.
Elle est d’une part externe et « objectivable » quand elle se lit dans nos textes de loi ou dans nos concertations explicites, mais elle court, invisible, dans les arcanes de toutes nos relations, fussent-elles avec nous-mêmes. Elle est en même temps présente et absente, explicite et implicite.
Elle est consciente dans les règles déclarées de nos codes de vie sociale, culturels ou linguistiques, tout en étant généralement insue/discrète/secrète dans la texture même des relations que nous entretenons avec nous-même et avec les autres. Elle est tout autant collective qu’intime ou personnelle.
La loi génère et contrôle nos comportements, mais elle nous permet de nous construire et de nous émanciper lors qu’elle nous sert de repère et de balise dans le concret de nos vies.
Elle est parfois la mouche du coche, parfois le refuge du faible, et chacun de se l’approprier plus ou moins pour en faire un rempart protecteur, ou le bâton qui frappe, la chose qui relie autant qu’elle exclut, qui fonde un contrat ou permet de le rompre.
Quoi qu’il en soit, et quel que soit l’aspect de la loi ou de la règle que l’on réfléchisse, personne n’échappe à l’obligation de devoir se positionner et de décider du rapport qu’il/elle entretient avec elle.
Soumission plus ou moins consciente, acceptation positive ou résignation plus ou moins bien vécue, rébellion ouverte ou secrète, chacun d’entre nous de se positionner : aménagement dans les applications, arrangements (à l’amiable et concerté), modifications négociées, marchandages plus ou moins licites, élargissements, mise en œuvre, exceptions organisées ou provoquées : autant d’indicateurs du fait que nous sommes en permanence dans un rapport vivant d’adoption/adaptation à l’égard de cette dimension du monde des hommes.
La chose est tellement vraie que nous traitons/travaillons ce rapport à la loi et à la règle tout autant dans notre quotidien concret, voire intime, que dans nos relations les plus lointaines.
Nous ne cessons de penser ce qui doit être fait, de réfléchir en fonction de ce qui aurait du être fait, de répondre à des « obligations » que nous nous sommes données à nous-même dans le pilotage de nos existences ou à celles qui, souvent plus claires en nos esprits, nous sont faites par nos proches, nos familles ou les organisations auxquelles nous participons.
Nous prenons (ou non) nos « responsabilités » en fonction d’injonctions diverses qui dérivent, d’une manière ou d’une autre, de notre rapport à l’ensemble des règles et lois qui régissent nos vies.
Pas un geste de nos vies concrètes, donc, pas une pensée fût-elle intime, qui ne soit, d’une manière ou d’une autre en relation avec la question de la règle et de la loi.
En filigrane, je ne cesse donc d’obéir ou de désobéir, d’adopter ou d’adapter, soit d’aménager concrètement mon rapport à la loi. Qu’il s’agisse de règles sociales, de principes philosophiques, de lois ou de règlements, ou encore d’injonctions diverses, je ne cesse donc d’organiser concrètement ma vie et mes comportements en lien avec cet ensemble complexe qui, à la fois, balise mon existence et me permet de la développer.
Dans le cadre de la formation que l’Université de Paix organise, nous travaillons ensemble sur cet ensemble complexe pour en définir différentes dimensions et réfléchir, autant individuellement que collectivement, aux tenants et aboutissants de cette problématique complexe.
Nous aborderons les dimensions intrapersonnelle, interpersonnelle, groupale, organisationnelle et institutionnelle de la problématique (cf. Grille d’intelligibilité du social).
Niveau par niveau, nous entreprendrons une investigation approfondie de la question de la loi et de la règle, en entrecroisant des connaissances théoriques multidisciplinaires et nos propres pratiques afin de réfléchir, chacun, notre rapport à la question.
Psychologie, psychosociologie, sociologie, mais aussi analyse organisationnelle et institutionnelle, anthropologie culturelle ou philosophie, nous permettront de dégager connaissances et réflexions quant à la manière avec laquelle chacun d’entre nous établit sa relation au champ des règles et des lois.