Nous vous invitons à aborder une grille permettant de décoder les origines du conflit. Cette grille repose sur un modèle de Jacques Ardoino et permet d’opérer un classement des situations conflictuelles insatisfaisantes.
Cet article de François BAZIER, Administrateur-délégué de l’Université de Paix, est paru dans le n°4 de Technopoles, Textuel S.A (2002).
Apprendre à résoudre ou à gérer positivement les conflits constitue un processus vaste qui ne se réduit pas à quelques trucs ou ficelles. C’est un apprentissage relativement complexe qui peut prendre du temps et qui débouche souvent, pour être valable, sur certaines remises en question. En effet, la compréhension intellectuelle des mécanismes du conflit doit pouvoir se poursuivre par une modification des attitudes et des comportements mis en œuvre. Cependant, il est possible et permis de progresser par étapes. Chaque découverte est une façon d’avancer un peu plus vers des solutions cohérentes et durables.
C’est en ce sens qu’il est préférable de parler de gestion des conflits plutôt que de résolution des conflits, qui pourrait supposer qu’une solution toute prête, unique et définitive existe au problème posé par le conflit. Apprendre à gérer les conflits se fait bien entendu moins en lisant tel ou tel article ou livre qu’au travers de l’expérimentation dans le concret de la vie quotidienne.
Il est cependant envisageable de se former à la gestion des conflits. Diverses méthodes de formation existent. Elles vont de l’analyse des sources du conflit à l’élaboration de solutions et l’intégration de comportements correcteurs.
Le modèle théorique de Jacques Ardoino (ici présenté et discuté par Gérard Pirotton) permet de distinguer différents niveaux d’interprétations possibles de situations insatisfaisantes conflictuelles.
Le conflit peut prendre racine au niveau personnel
Une majorité de conflits trouve leur origine dans l’état de la personne, dans ce qu’elle vit au présent, dans sa perception des choses, dans ses valeurs, dans ses besoins.
Ainsi, si je suis physiquement fatigué, je serai certainement moins apte à entendre une sollicitation venant de l’autre, à écouter une de ses demandes ou à supporter une remarque critique. De même, si je suis mal dans ma peau, si je me sens dévalorisé, si je suis mécontent, si j’ai peur de l’avenir, j’aurai moins de ressources pour affronter les tensions qui surgissent et les problèmes relationnels.
Agir sur les conflits qui se situent au niveau de la personne, implique de créer de meilleures conditions de vie physique et psychique. La réponse sera d’aller mieux, d’être en forme, de se sentir bien, bref de se donner les conditions pour bien réagir face au conflit.
Cela me demande d’abord de prendre soin de moi, partant de l’idée fondamentale qu’il est plus facile, rapide et pertinent d’agir sur moi, plutôt que d’attendre de l’entourage qu’il s’occupe de moi. Cela me demande également, si je suis en position de responsabilité, de procurer aux autres dont je suis responsable (enfants, élèves, employés, collaborateurs…) les meilleures conditions de développement.
La relation à l’autre peut être la source du conflit
Le deuxième niveau d’enracinement des conflits se situe dans la relation. L’origine du conflit est ici dans l’interpersonnel. Les personnes en présence ont des besoins contradictoires, des valeurs divergentes, une communication difficile. On dira parfois qu’elles ne s’entendent pas. C’est donc au niveau de la relation qu’il faudra chercher l’issue du conflit. C’est ce qui se passe entre moi et l’autre qui fait problème et c’est ce qui se passe entre moi et l’autre qui pourra être amélioré. L’outil principal de résolution de ce type de conflit reste la communication. Communiquer avec l’autre pour préciser mes besoins sera le mode d’action principal : « qu’est-ce que je veux, fondamentalement, pour moi ? » et « qu’est-ce que tu veux fondamentalement toi ? ».
Bien entendu, savoir où agir n’implique pas de savoir comment agir. La bonne manière de faire avec l’autre qui est, pour l’instant, mon adversaire n’est pas simple à connaître et à maîtriser.
Le conflit peut naître de la vie du groupe
Notre culture qui privilégie l’individu néglige souvent le groupe et les phénomènes qui s’y manifestent. Le groupe peut être défini comme un ensemble de personnes qui partagent des objectifs communs. Ces objectifs sont plus ou moins conscients, relativement bien définis, relativement bien compris. Chacun se perçoit plus ou moins fortement comme un des éléments du groupe. Qu’ils soient formels ou informels, les groupes sont traversés d’interactions diverses et sont soumis à des phénomènes remarquables comme la compétition, le conformisme, l’influence et le leadership… Le groupe, qu’il soit une équipe, un service, un atelier, une classe ou une famille, génère, de par le système particulier qu’il constitue, des conflits spécifiques qui gravitent souvent autour de la recherche d’un certain pouvoir. Ainsi, le conflit qui naît dans une équipe de travail doit être décodé finement : comment le pouvoir est-il partagé ? comment circule l’information et laquelle ? quelles sont les valeurs mises en avant ? comment les décisions sont-elles prises ? quels sont les rôles, fonctions et statuts de chacun ? quels sont les rapports avec les autres équipes ? … Même si les individus paraissent plus faciles à comprendre et à faire fonctionner, il faut se garder de trop vite réduire les conflits qui existent dans les groupes à une simple mauvaise communication entre les personnes.
Le type d’organisation peut générer des conflits
La manière dont un atelier, un service, une équipe de travail, une école ou même une famille sont organisés aura de l’importance sur la vie du groupe et des individus qui y cohabitent. Au-delà de la vie du groupe, les conditions matérielles de travail, la répartition des tâches, les mécanismes de leur coordination, l’adaptation à l’environnement auront beaucoup d’importance dans la compréhension des conflits qui surgissent. Et cela est encore plus vrai si la structure de l’organisation est de taille importante. Une entreprise de petite dimension est certainement plus facile à coordonner.
L’analyse du fonctionnement organisationnel est précieuse et permet de découvrir comment la division en sous-systèmes spécialisés, départements, secteurs peut générer des conflits. Quelle est la disposition spatiale des différentes unités de production, comment les tâches sont-elles divisées, comment la coordination s’opère-t-elle, sont des questions qui mériteront d’être posées.
Le conflit peut trouver racine dans la culture et les normes véhiculées
Chaque époque crée ses références et ses normes. Chaque structure, chaque entreprise, chaque organisation a développé autour de ses missions et fonctions des valeurs propres. Ces valeurs fondent l’identité du groupe et créent une microsociété qui aura ses rites et ses symboles, ses croyances et ses interdits. La culture ainsi créée pourra favoriser ou non l’apparition de conflits. Ainsi en est-il de l’objet social de l’entreprise privée ou publique et la manière de le présenter à l’intérieur comme à l’extérieur : nos missions sont-elles, par définition, porteuses de conflits ? met-on en avant la compétition ou la coopération ? les « autres » sont-ils des adversaires ou des partenaires ? dans quel contexte idéologique général vivons-nous ? Quelles sont les valeurs socialement admises ?
Les cinq niveaux d’analyse du conflit, ici rapidement présentés, constituent une trame utile pour repérer où porter l’action à mener. Plus nous sommes proches du premier niveau évoqué ci-dessus, plus nous avons prise sur les mécanismes du conflit.
Il nous reste à mettre en œuvre les moyens adéquats pour démonter ces mécanismes.