Une des caractéristiques de la dynamique du harcèlement est « l’instrumentalisation du rire ». Elle consiste pour le « harceleur » à chercher du soutien auprès des témoins en utilisant des moqueries, des surnoms, de la dérision, des insultes, souvent en ponctuant ses phrases par des mots tels que « c’est pour rire… ». Pour les adultes, ce phénomène rend la situation d’autant plus difficile à déceler et stopper. Les sociologues se sont penchés sur cette question compliquée : pour eux, le phénomène d’appartenance au groupe est une piste pour comprendre ce mécanisme.

 

Par Noémie Godenir

Le rire qui banalise la situation

Dans certaine situation, les adolescents ne reconnaissent pas le caractère violent de leurs paroles. Les jeunes, y compris dans certains cas la victime elle-même, minimisent les effets de ces comportements. Cela rend la situation d’autant plus complexe à appréhender par les adultes.

On retrouve d’autres situations où les adultes, eux-mêmes, banalisent des « petites » violences entre élèves. Ces violences sont alors estimées comme des « chamailleries », parfois qualifiées de « naturelles » s’il s’agit de garçons (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016).

Une façon de faire « normale » dans le groupe de pairs

Malgré cela, un grand nombre d’adultes restent perplexes face aux comportements violents qui sont décrits par des élèves comme un jeu, ou encore « (…) comme une façon de faire normale dans leur groupe » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont al, 2016 ; p. 14).

Effectivement, l’adolescent appartenant à un groupe de pairs adopte généralement les codes propres à ce groupe (comportements, codes vestimentaires, codes verbaux…). Cette appartenance est vécue comme un devoir de conformité, autour d’éléments identitaires comme le langage. Dès lors, « (…) le geste ou le mot n’est pas considéré par eux comme violent s’il est destiné à un pair du même groupe, mais il le sera s’il s’agit d’un membre d’un exogroupe », c’est-à-dire à l’extérieur du groupe de pairs (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016 ; p. 189).

Par conséquent, la limite entre la violence et ce type de « jeu » consenti qui relèverait d’une forme de culture adolescente est d’autant plus floue et difficile à identifier pour les adultes. « Le décalage de perception s’explique d’abord par le décalage de discours entre adultes et jeunes sur les critères de normalité ou de banalisation de la violence (…) » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016 ; p. 189).

Une norme d’évaluation à définir… en interrogeant les ressentis des jeunes ?

Sur base de ce constat, les auteurs soulèvent une question intéressante : quels vont être les critères pour évaluer les comportements des élèves, c’est-à-dire pour savoir si ces comportements relèvent de l’intimidation ou simplement d’un jeu mutuellement consenti ? Ils remarquent que « selon les établissements, certaines « petites violences » sont tolérées comme mode d’expression coutumière des jeunes entre eux ou au contraire immédiatement sanctionnées » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016 ; p. 201).

Dans la plupart des cas, la sanction est attribuée sur base du sens donné par l’adulte ayant une vue extérieure sur l’évènement. Mais au vu des théories sur l’appartenance de groupe, ne devrait-ont pas plutôt se fier au sens que donnent les jeunes (éventuellement « auteurs » ou « victimes ») à ces comportements ?

Bibliographie : Durif-Varembont, J.-P., Mercader, P., Léchenet, A., & Garcia, M.-C. (2016). Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée. Toulouse : Erès Editions.