Par Alexandre Castanheira, Détaché pédagogique et formateur à l’Université de Paix
> Découvrez notre programme d’action dans les écoles relatif au harcèlement entre jeunes
Ces dernières années, les cas de harcèlement entre élèves font de plus en plus parler d’eux, largement relayés par la presse. S’agit-il pour autant d’un nouveau phénomène de violence à l’école ? Non, c’est un phénomène qui a été davantage cerné grâce à de nombreuses recherches et qui, dès lors, peut-être repéré et qualifié avec plus d’efficacité que dans le passé. Aujourd’hui, la plupart des études en Europe concluent que 8 à 15% des jeunes scolarisés seraient concernés par des situations de harcèlement. Sachant que les conséquences psychologiques et scolaires peuvent s’avérer graves, il est temps d’en parler le plus largement possible et de diffuser les moyens de prévention et d’intervention qui existent aujourd’hui.
Mais de quoi s’agit-il exactement? Qu’est-ce que le harcèlement entre élèves ?
Commençons par un exemple : Jérémie est nouveau dans une école avec internat. Un soir, les jeunes de sa section sont rassemblés dans la salle de jeux, ils se racontent des blagues. Jérémie qui est plutôt réservé finit par en raconter une. Sa blague fait un « flop ». Silence. Max, un élève à peine plus âgé, à l’aise dans le groupe et bien intégré, familier des bonnes blagues bien racontées, enchaine par une blague moqueuse à propos de Jérémie et déclenche les rires de toute l’assistance. Désappointé, mal à l’aise, Jérémie ne se sait que répondre et esquisse un rire jaune. C’est à partir de là, que, durant les jours suivants, Max continuera à mettre de l’ambiance en se moquant des blagues à la c… de Jérémie. La stigmatisation de Jérémie commence alors, ainsi que son calvaire : il sera victime de moqueries à répétition, de mises à l’écart, de jets d’objets en classe, etc. Son parcours scolaire va s’en ressentir et il finira par devoir changer d’école.
On le voit dans cet exemple, le harcèlement entre élèves (appelé school bullying en anglais) présente plusieurs caractéristiques assez précises. Généralement, les spécialistes affirment qu’un jeune est victime de harcèlement lorsque :
- il est soumis de façon répétée et sur une certaine durée à des comportements perçus comme violents, négatifs, agressifs de la part d’une ou plusieurs personnes ;
- il s’agit d’une situation intentionnellement agressive qui vise à mettre en difficulté la victime ;
- il y a une relation de domination psychologique telle que la victime n’est pas en mesure ou ne se sent pas en mesure de sortir de ce rapport de force, de se défendre.
Ce qui veut dire aussi que lorsque deux jeunes de force égale (pas seulement physique…) se disputent, se moquent, s’insultent, se battent, il ne s’agit pas de harcèlement.
Sous quelles formes se manifeste le harcèlement ?
C’est là un des aspects qui le rend difficilement identifiable : le harcèlement peut prendre de nombreuses formes. Il peut être « physique » : faire des gestes, donner des coups, jeter des objets, bousculer, contraindre à certaines actions. Il est le plus souvent « verbal » : insulter, se moquer, donner des surnoms, faire circuler de fausses rumeurs, menacer, user de sarcasmes. Il peut s’agir de racket : appropriation d’objets appartenant à la victime, taxage ou grattage de cigarettes, d’argent, de gsm…
Il peut être question aussi de harcèlement sexuel et, de plus en plus souvent semble-t-il, de cyberharcèlement (qui se traduit par exemple par le fait d’envoyer des messages négatifs par sms ou sur les réseaux sociaux, par le « outing » – fait de diffuser publiquement des informations privées qui avaient été transmises sous le sceau de la confiance à un groupe de personnes beaucoup plus large – ou encore par la diffusion de photos et de vidéos de la victime diffusées sans son consentement et affublées de commentaires humiliants).
La plupart du temps, les victimes subissent plusieurs de ces formes de harcèlement et la détresse psychologique qui en découle est souvent d’autant plus grande que le harcèlement est plus intrusif dans leur quotidien, non seulement à l’école, mais aussi à la maison ou hors des murs de l’école via les réseaux sociaux et l’utilisation fréquente de leur gsm.
Une autre dimension importante de ce phénomène réside dans sa nature « groupale ». Contrairement à d’autres formes de violence à l’école, les cas de harcèlement ont lieu en présence et grâce au groupe de pairs, les « témoins ». La plupart du temps, le « harceleur » va rechercher, grâce à une instrumentalisation du rire (« … et c’est pour rire » – « LOL ! »), à renforcer sa position dominante dans le groupe en agissant devant des témoins. Certains rallient le « harceleur » (les « suiveurs »), d’autres ne présentent pas de positionnement clair (« outsiders ») ou ne voient rien, d’autres, enfin vont chercher à secourir la victime (« sauveurs »). Dans tous les cas, ceux qui n’agissent pas pour stopper le harcèlement renforcent celui-ci.
Note transitoire : je choisis de mettre les étiquettes (« harceleur », « témoins », « victime », « suiveur », « sauveur », etc.) entre guillemets précisément car il s’agit de rôles dans un phénomène de groupe. Ainsi il ne faut surtout pas réduire les personnes à leurs comportements et leurs rôles dans un groupe à un moment donné. Cela conduirait à terme à condamner les « harceleurs » à le rester, de même que les « victimes ». Idéalement, il serait plus avisé, mais plus lourd d’un point de vue stylistique, de parler de personnes ayant des comportements de harcèlement, de personnes victimes de harcèlement, etc.
Ch. Salmivalli, de l’Université de Turku en Finlande, a démontré qu’une stratégie efficace de prévention consiste précisément à agir sur les « outsiders » en leur donnant les moyens et les compétences pour s’impliquer afin de faire cesser la situation de harcèlement.
Cela suppose un travail sur les normes sociales au sein du groupe. En effet, la plupart des témoins n’oseront pas agir par peur des représailles et/ou de se voir considérés comme une « balance ». Pourtant 84% d’entre eux ressentent un malaise face à ces situations et développeront vraisemblablement un sentiment de lâcheté. Or, D. Pelpler, de l’Université de York, affirme que dans 60% des cas où les témoins interviennent, le harcèlement cesse dans les 10 secondes. Dès lors, que le « harceleur » et les « suiveurs » n’ont plus de public, le harcèlement cesse.
Par ailleurs, le harcèlement est généralement invisible aux yeux des adultes tout en étant parfaitement visible pour les jeunes. C’est le phénomène d’invisible invisibilité nommé et décrit par J.-B. Bellon et B. Gardette dans « Harcèlement et brimades entre élèves, la face cachée de la violence scolaire (2010) ». Des élèves peuvent en agresser un autre 6 à 8 fois par jour, dans l’enseignement secondaire, rien que pendant les intercours non surveillés ou dans des espaces échappant au regard des adultes au sein de l’école (ou plus simplement par gsm…).
Déséquilibre de force, volonté de nuire, répétition, phénomène de groupe, instrumentalisation du rire, loi du silence, invisible visibilité, ces caractéristiques rendent au final le phénomène du harcèlement difficile à appréhender.
Néanmoins des dispositifs de prévention et d’intervention existent et les adultes de l’école peuvent se les approprier, y compris avec les jeunes, les parents et les services d’accompagnement des écoles (centres PMS…), pour construire des écoles sans harcèlement.
Pour ce faire, 6 axes d’actions sont à mettre en avant :
1. Un climat scolaire bienveillant et accueillant
Par exemple, une école où les élèves peuvent parler de comment ils se sentent au sein de l’école, y compris de leurs attentes à propos des adultes (médiation collective, conseil de coopération, cercles de parole…).
2. Des règles claires, concrètes et connues
« Se respecter les uns, les autres », c’est une idée très pertinente, mais ce n’est pas une règle concrète. Par contre, des règles exprimées en termes de comportement précis auront l’avantage d’être facilement connues et comprises par chacun et… de la même façon.
3. Informer et sensibiliser les élèves au phénomène du harcèlement
Les élèves, très jeunes, sont en mesure de comprendre certains phénomènes de groupe et, de ce fait, de ne pas tomber dans certaines dérives.
De nombreux moyens existent pour sensibiliser les jeunes :
- utiliser un questionnaire sur le harcèlement
- les jeux de rôles
- utiliser des livres, des films pour aborder ce sujet en classe
- organiser des événements spéciaux contre le harcèlement
- réaliser un film, un bulletin d’infos, des quizz, etc. sur ce thème
- organiser des ateliers sur le respect des différences
- développer les pratiques coopératives et solidaires de soutien par les pairs : les pairs écoutants, les médiateurs, les parrainages, les pairs aidants (pour aide scolaire), etc.
D’après Ch. Salmivalli, 4 notions sont à travailler avec les jeunes :
- Développer la conscience du rôle joué par le groupe dans le harcèlement.
- Accroître l’empathie pour les victimes.
- Développer les stratégies des élèves pour aider les victimes.
- Augmenter les capacités des élèves à faire face au harcèlement.
4. Impliquer les parents dans la prévention
Trouver les moyens dans l’école d’impliquer et de faire participer les parents à un plan de prévention du harcèlement, via le conseil de participation, via les associations de parents, l’organisation de conférences, la réalisation de projets par les élèves, etc.
5. Des lieux de parole pour échanger au sein de l’école…
Autant pour les élèves que pour les enseignants. Souvent, les conseils de classe sont consacrés exclusivement aux résultats scolaires. Et pourtant, les équipes éducatives et pédagogiques auraient bien besoin de pouvoir échanger leurs observations sur les interactions des élèves et les dynamiques de groupe : les intervisions peuvent être une solution.
6. Inscrire ces démarches dans la durée
Apprendre aux jeunes à vivre ensemble à l’école ne relève pas d’un effet de mode mais d’une nécessité. Il s’agit d’inscrire le travail de prévention dans les habitudes de l’école afin qu’elles s’inscrivent dans la durée.
L’école peut se doter d’une politique pour une école sans harcèlement contenant un plan d’action lorsqu’un cas de harcèlement est détecté dans l’école. Là aussi, des exemples existent qui pourront permettre aux écoles d’avancer rapidement sur ce plan.
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