Dossier esprit critique et complotisme
- Descriptif du projet – Conception, réalisation et évaluation d’un module de formation : « Développer l’esprit critique par rapport au complotisme ».
- Introduction du module de formation (cadre de vie, plan, présentation du groupe, présentation des objectifs)
- Définitions (complot, théories du complot, rumeur, complotisme…) et précautions d’usages
- Construction et application d’une grille d’analyse à des documents médiatiques
- Vous êtes ici : Analyse de l’argumentation complotiste – La rhétorique et les biais complotistes
- Activité de décentration et prolongements pédagogiques
- Glossaire (complot, théorie du complot, rumeur, biais cognitifs, pétition de principe, etc.)
- Esprit critique et complotisme : bibliographie
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Analyse de l’argumentation complotiste – La rhétorique et les biais complotistes
Nous suggérons le visionnage de l’itinéraire 3 du site consacré aux théories du complot de Média Animation (http://www.theoriesducomplot.be)
Pour le groupe de jeunes : diffusion seulement de la deuxième vidéo (C1 de l’ITI3).
Pour convaincre les gens des théories du complot, ces théories utilisent certaines manières d’argumenter fallacieuses. Elles ont tendance notamment à :
- Accumuler des éléments qui sont difficiles à vérifier
- Se moquer des personnes qui croient aux vérités officielles en les qualifiant de naïves
- Prendre la forme d’enquête contre une manipulation
- Utiliser l’ironie pour renforcer l’impression que les apparences sont fausses
Transition
Nous effectuons des liens entre les caractéristiques « intrinsèques » du « message complotiste » (analyse du « message » selon les 5 angles) et des biais de raisonnement et biais cognitifs (analyse des discours et postures autour de ces messages). On passe s’intéresse ici davantage à sa forme argumentative et à comment il peut faire écho chez le récepteur (biais cognitifs, argumentaires, etc.).
Définition d’un biais cognitif selon Wikipédia : un mécanisme de la pensée qui cause une déviation du jugement. Le terme biais fait référence à une déviation systématique par rapport à la réalité.
Pour rappel, le questionnement sur l’existence d’un complot est à distinguer de la critique d’une certaine « logique complotiste » qui utilise des arguments non-valides, comme par exemple la pétition de principe ou la confusion entre corrélation et causalité.
Argument non valide : « Coïncidence ? Je ne crois pas ! Il n’y a pas de hasard »
Matériel : supports sélectionnés imprimés, ou liens Internet de ceux-ci.
On distribue les différents supports suivants au groupe, chacun ou chaque sous-groupe reçoit un support différent.
Questions :
- Qu’en pensez-vous ?
- Que signifie-t-il ?
- Quel est le raisonnement ? Celui-ci vous semble-t-il valide ?
- A quel genre d’argumentation rencontré dans les vidéos analysées cela vous fait-il penser ?
Supports choisis pour illustrer les causalités hâtives (« il n’y a pas de hasard », « tout est lié ») : Spurious Correlations de Tyler Vygen, Church of the flying Spaghetti Monster, Prix Nobel et chocolat, Maillots de bain et consommation de glace, etc.
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Source : http://www.venganza.org
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Corrélation entre la consommation de chocolat et le nombre de lauréats d’un Prix Nobel : corrélation (Tel pays a une faible consommation de chocolat, ce même pays a peu de lauréats à un Prix Nobel) n’est pas causalité (Tel pays a une faible consommation de chocolat => ce même pays a peu de lauréats à un Prix Nobel).
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Source : http://www.tylervigen.com/spurious-correlations
« Corrélation entre les dépenses des États-Unis dans les domaines de l’espace, des technologies et de l’espace et les suicides par pendaison, strangulation et suffocation », extrait de « Spurious Correlations », par Tyler Vigen.
Les illustrations ci-dessus peuvent illustrer les arguments d’autorité. En effet, ils sont présentés sous forme de graphiques, ce qui peut donner un « air sérieux ». Ils peuvent sembler crédibles parce qu’ils ont un certain « habillage ».
Cela peut également faire penser au biais de confirmation (cf. infra), puisqu’en un certain sens, les données sont sélectionnées, présentées et ajustées en fonction de la thèse initiale, comme c’est le cas sur le graphique de venganza.org. Il s’agit de faire dire aux données ce que l’on veut leur faire dire…
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Page Facebook « Complots faciles pour briller en société » : https://fr-fr.facebook.com/ComplotsFaciles/
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« Quand les gens mettent des maillots, la vente de glaces augmente, donc les maillots augmentent la consommation de glace ».
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Traduction : « Les victimes des attentats de Paris atteignent 120 morts et 270 blessés ».
Ce tweet date du 11 novembre 2015, 2 jours avant les attentats de Paris. De ce fait, de nombreuses personnes ont cru qu’il avait anticipé ce désastre.
Ce compte twitter crée automatiquement des publications en utilisant des données issues de réels comptes utilisateurs pour former des « fake news ». Voici les deux publications dont le compte a extrait les données pour créer la publication du 11 novembre 2015.
La première publication qui servait comme source de données pour la publication, datait des attentats sur la rédaction Charlie Hebdo, et la deuxième publication parlait d’une attaque sur une mosquée en 2014. Une autre raison qui a influencé les gens à croire à la publication est le fait que les deux comptes portent presque le même nom : PZFeed Ebooks vs. PZFeed Breaking News Feed.
Les internautes étaient choqués, car ils pensaient que ce site avait prédit que cet attentat aurait lieu. Après cet incident, Twitter a supprimé ce compte utilisateur.
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D’autres supports pour effectuer des études de cas sont disponibles notamment sur NIOUTAIK.FR, « La Révélation des Pyramides, le documentaire en mousse », Niou Taiknologie – Nioutaik.fr, le 26/02/2013 (cf. infra, dans la partie sur les biais de confirmation)
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Les participants discutent des points communs entre leurs supports. En fait, tous ceux-ci extrapolent des liens de causalité là où il n’y a probablement que des coïncidences et du hasard. Il s’agit de corrélations, d’événements probablement indépendants.
NB : lire à ce sujet Comment les adeptes des théories du complot voient le monde ? Une étude répond (Huffington Post, 2017)
Les trois auteurs expliquent avoir découvert un lien assez clair entre théorie du complot et ce qu’ils appellent la « perception illusoire de modèles » (« illusionary pattern perception »).
La perception de modèles est un processus cognitif très classique : il nous permet de trouver un lien entre les différentes choses que l’on expérimente. De visualiser un schéma permettant de relier les choses entre-elles et donc de donner du sens au monde. Mais voilà, parfois, nous avons l’impression de détecter un lien, une connexion entre des éléments, alors que le seul « responsable », c’est le hasard. C’est cela, une perception illusoire de modèles.
[…] Dans les premières expériences, les personnes devaient estimer si une série de « pile ou face » était aléatoire ou non. Résultat : ceux croyant aux théories du complot ou à des phénomènes surnaturels étaient plus enclins à croire qu’il y avait un modèle explicatif dans ces jets de pièces pourtant aléatoires.
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On demande ensuite aux participants de se remémorer des arguments similaires dans les supports préalablement présentés : citez des exemples de ce type d’argumentation dans les documents précédemment analysés (les trois vidéos et l’article Panamza).
Exemples de réponses attendues
- « Tout est lié »
- « Rien n’arrive par hasard »
- Le fait que François Hollande était aussi vite sur place, est selon la théorie, un indice clair et net qu’il était au courant : « Tout est lié »
- C’est comme dans la vidéo sur le 11 septembre où l’on suppose que la conséquence de l’attentat (la guerre) en devient la cause.
- « Ce n’est pas possible que le fait que X est un juif soit un simple hasard ».
Argument non valide – Pétition de principe (ce qui est « à prouver » est utilisé comme prémisse) – Le critère de réfutabilité (« expérimentabilité »)
Source : http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/07/03/accusee-par-des-complotistes-la-nasa-nie-avoir-envoye-des-enfants-esclaves-sur-mars_5155052_4832693.html (Le Monde, 2017)
- « On nous cache les choses, c’est bien pour ça qu’on ne les voit pas » (par exemple, l’existence d’extraterrestres ayant visité la Terre)
- « Si elle dément, c’est bien la preuve qu’il y a complot » (La Nasa nous cache des choses, or elle nie, c’est donc bien qu’elle nous cache des choses)
- « Je mets du sel sur les arbres pour éloigner les éléphants.
- Mais il n’y a pas d’éléphant.
- Bien sûr, puisque je mets du sel sur les arbres » (Le sel éloigne les éléphants, il n’y a pas d’éléphant, donc le sel éloigne les éléphants)
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La pétition de principe (Wikipédia) « est, en logique, un raisonnement fallacieux dans lequel on suppose dans les prémisses la proposition qu’on doit prouver. Dès lors, la conclusion de la pétition de principe se confond avec tout ou partie des prémisses ». Le raisonnement complotiste conclut que l’on nous ment, qu’il y a un complot. Pour arriver à cette conclusion, elle postule que l’on nous ment.
Dans la pétition de principe, toute contre-argumentation est discréditée. Par défaut, l’argument contradictoire fait partie du complot. Il y a le présupposé que l’on nous ment et que « les autres sont naïfs ».
Lors du débriefing de cette activité, on pourra souligner plusieurs stratégies spécifiques à l’œuvre dans la rhétorique complotiste : l’accumulation d’arguments qui sont interprétés selon la pétition de principe, l’idée que les autres sont naïfs (présupposé qu’on nous ment), etc.
Eléments de débriefing et d’approfondissement
Principales composantes d’une théorie du complot – Extrait de MICHELS, C., L’apport de l’éducation aux médias pour le développement de l’esprit critique. Quelle importance accorder au choix de la pédagogie ?, IHECS : Bruxelles, 2017.
C’est en présentant les « angles morts du récit « officiel » et en proposant des réponses face aux questions irrésolues que les théories du complot captivent et persuadent les citoyens de leur vérité » (Pax Christi, 2017 p. 5). Un autre élément, qui explique le succès de ces théories, est l’affect qui est utilisé pour convaincre les gens. Comme « [les théories du complot traitent de] tout ce qui va générer de la colère, on va se sentir scandalisé par une situation. Dès lors, il s’avère très difficile [de prendre du recul] parce que nous sommes tous destinés à avoir des émotions. » (Brossard, 2016). En effet, « [ces théories] nous rassurent lorsque le monde nous fait peur et que les explications officielles ne sont pas à la hauteur » (Jamin, 2016, p. 148).
Selon Marie Peltier, ces théories du complot procèdent de manière générale par étapes successives. Dans un premier temps, les complots convainquent leurs récepteurs du fait que tout le monde leur ment. « Les idéologues du complot instillent ainsi un doute fondateur sur toutes les réalités qui entourent le sujet » (2016, p. 2). Dans un deuxième temps, vient une « phase de sectarisation et de dogmatisation » : « On vous apporte la seule vérité ». « L’individu [qui dans un premier temps] a été mis en position de grand inconfort voire d’anxiété vis-à-vis des réalités politiques et médiatiques qui l’entourent, en vient donc à « boire » ce discours comme une réponse à ce malaise. » (2016, p. 3). Submergés par le doute, les jeunes se sentent désorientés et essayent donc de trouver une solution générale. À cela s’ajoute les mécanismes de construction des théories du complot. Celles-ci fonctionnent selon trois règles : « tout est lié », « rien n’arrive par hasard » et « les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être » (Campion-Vincent, 2005, p. 10).
Or, l’adhésion à ces théories ne s’explique pas seulement par le fait que celles-ci peuvent s’articuler à des visions du monde plus idéologisées mais, également, par une série de fonctionnements cognitifs routiniers de l’humain. Ces biais cognitifs sont des « formes de pensée qui dévient de la pensée logique ou rationnelle et qui ont tendance à être systématiquement utilisées dans diverses situations » (Psychomédia, 2013, septembre). Ces biais cognitifs du récepteur causent des erreurs de raisonnement. Un exemple d’un tel biais cognitif qui est assez commun pour expliquer l’adhésion de personnes à des théories du complot est le biais cognitif de proportionnalité (Szoc, 2016, décembre). Cette erreur de raisonnement suppose que des grands évènements doivent nécessairement avoir de grandes explications. Selon ce raisonnement, il est difficile d’imaginer que les attentats du 11 septembre 2001 peuvent être causés par seulement un petit nombre de terroristes.
Pour prendre conscience de la difficulté à sortir de la pétition de principe, on peut poser la question suivante à l’égard d’un individu qui adopterait cette posture : « Comment puis-je te faire changer d’avis ? Quels éléments concrets pourraient te prouver que tu as tort » ? En gros, il s’agit de prendre conscience que cette posture est hermétique aux faits et aux arguments. Peu importe les éléments : tout et son contraire peut être interprété selon l’idée que l’on nous ment et que « les faits ne sont pas les faits ».
Ce questionnement correspond au critère de réfutabilité identifié par Karl Popper. Concrètement, pour lui, pour tester une affirmation, il faut pouvoir expérimenter des situations où elle pourrait être fausse.
Par exemple, si je pense que « tous les corbeaux sont noirs », c’est « vérifiable » – car réfutable – parce que si un jour j’observe un corbeau non-noir, alors mon affirmation sera fausse.
De même, je peux tester au quotidien qu’un objet tombe ou ne tombe pas quand je le lâche, et ainsi éprouver la gravité terrestre.
En bref, les faits permettent de discriminer ma thèse. Si une thèse permet d’expliquer tout et son contraire, elle n’est pas scientifique.
La logique complotiste repose sur des présupposés infalsifiables : « on vous ment, vous êtes naïfs », « s’ils démentent, ils ont bien quelque chose à cacher ». Cela discrédite les « preuves » qui vont à l’encontre de la croyance.
Biais cognitifs – biais de confirmation
Définition : le biais de confirmation se caractérise par un manque de recherche d’arguments ou de preuves qui iraient à l’encontre de ce que nous croyons déjà.
Nous diffusons une première vidéo, où un biais attentionnel est à l’œuvre.
SIMONS, D., CHABRIS, C., Selective attention test [vidéo], 1999 : https://www.youtube.com/watch?v=vJG698U2Mvo
L’objectif est de comprendre que notre attention est sélective, et que par conséquent il nous arrive d’omettre des informations ou de regarder la réalité de manière partiale, ou du moins incomplète, « orientée ».
Les vidéos de théories du complot ont également comme caractéristique de faire observer des choses qui spontanément n’auraient pas été identifiables. Le narrateur dirige la vision des spectateurs en choisissant ce que ces-derniers sont censés voir ou au contraire les éléments à ignorer.
Nous faisons expérimenter l’exemple de la suite logique aux participants :
Imaginons que j’aie en tête une règle pour générer des triplets de nombre. Je vous demande d’essayer de deviner cette règle en proposant vous-même des triplets, sachant qu’un des triplets que peut générer cette règle est (2,4,6). Une des règles possibles qui peut vous venir à l’esprit est : “trois nombres pairs en ordre ascendant”. Vous pourriez donc proposer le triplet (8,10,12) pour essayer de tester la règle. Et c’est ce que font la majorité des gens testés : ils utilisent une stratégie dite de “test positif” pour découvrir la règle, c’est à dire qu’ils vont proposer des triplets qui confirment leur règle plutôt que des triplets qui pourraient l’infirmer.
DEBOVE, S., « Le biais de confirmation, élémentaire mon cher Wason », Homofabulus.com, le 15 octobre 2013.
Cette expérience de pensée est également exposée dans LA TRONCHE EN BIAIS, Les Biais de Confirmation – La Tronche en Biais #5 [vidéo], le 29 novembre 2015.
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La Révélation des Pyramides, le documentaire en mousse (ou « Les pyramides ont été construites grâce aux extraterrestres »)
Cet article donne plein d’illustrations sur la manière de sélectionner et interpréter des données de manière à conforter une thèse initiale ! Il évoque un maximum d’arguments qui vont dans le même sens, qui confortent le parti pris choisi, quitte à triturer les données (univocité).
En l’occurrence, il relève un ensemble de « coïncidences troublantes » liées à la construction des pyramides égyptiennes. Le propos du documentaire est clairement d’alimenter la thèse que les pyramides ne peuvent pas avoir été construites sans l’intervention d’une entité supérieure (des extraterrestres, par exemple).
Ces exemples sont aussi utilisables pour l’argument fallacieux consistant à nourrir des causalités fallacieuses là où il n’y a vraisemblablement que du hasard.
Dans un nouvel exemple d’omission, le documentaire s’extasie à grands cris sur la difficulté de construire la grande pyramide en seulement 20 ans (…)
Là, les auteurs de cette bouse aimeraient bien que leurs spectateurs pensent « omagad !! 2 minutes 30 par bloc !! Ça nécessite forcément des découpes à la scie circulaire et des téléportations du fioutioure !! Spa possible autrement !! » sauf que ce calcul n’a de sens que si le chantier ne compte qu’UN SEUL clampin (…) ou si plusieurs ouvriers ne travaillent qu’un bloc à la fois !
Dès l’instant où l’on augmente la main d’œuvre (il y avait entre 50 000 et 100 000 ouvriers selon les estimations) et que l’on arrête de prendre les Egyptiens pour de gros demeurés incapables de paralléliser des tâches en bossant sur plusieurs blocs à la fois, ça devient nettement moins aberrant ! Sincèrement, à ce compte-là moi aussi je peux sortir des mystères du néant ! Par exemple, le brossage de cheveux est une énigme pour nous tous car, selon mes calculs […]
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La vitesse de la lumière : Coup de grâce de ces démonstrations mathématiques en carton, la narratrice sort « Si on ajoute le périmètre du cercle externe de la base de la pyramide (en mètres !) et le périmètre du cercle tangent à la base, on obtient 299,79613 Millions de m/s soit approximativement la vitesse la lumière !!!!!!! ». Au-delà du fait que les Egyptiens ne connaissaient ni le mètre, ni la seconde (qui est là encore une unité définie arbitrairement), les calculs « a posteriori » n’ont strictement aucune valeur ! En triturant suffisamment les dimensions d’un objet (surtout qu’ici il s’agit de truc super pas intuitifs comme des cercles inscrits) on peut obtenir absolument n’importe quoi.
NIOUTAIK.FR, « La Révélation des Pyramides, le documentaire en mousse », Niou Taiknologie – Nioutaik.fr, le 26/02/2013.
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Le même phénomène est présent lors de nos recherches sur Internet – la place des algorithmes… et de nos semblables
Bronner le montre par l’exemple. Il consulte Internet à propos de deux événements marquants : la mort de Lady Diana et le tremblement de terre de Haïti en 2010. La première fois, il interroge le Web sans mentionner le mot « complot ». La seconde fois en introduisant ce mot dans sa recherche. Résultat : sans la mention « complot », sur les 30 premiers sites proposés par son moteur de recherche, deux mentionnent un complot possible dans le cas de Lady Di, zéro pour Haïti. Avec le mot « complot », 20 sites sur 30 présentent une thèse complotiste dans le cas de Lady Di, 15 sur 30 dans le cas de Haïti.
BERT, C., « Théories du complot : notre société est-elle devenue parano ? », Sciences Humaines, Mis à jour le 09 janvier 2017.
Tout dépend donc de la manière dont on formule la question… On peut observer que dans certains cas, les algorithmes peuvent faire en sorte que l’internaute se voit conforté dans son opinion.
Si le temps le permet, nous proposons de diffuser les deux vidéos suivantes et de les discuter, en lien avec le concept de « biais de confirmation » :
- LA TRONCHE EN BIAIS, Les Biais de Confirmation – La Tronche en Biais #5 [vidéo], le 29 novembre 2015.
- SIMONS, D., CHABRIS, C., Selective attention test [vidéo], 1999.
Une question critique à se poser par rapport à un document qui présente une thèse est la suivante : « Peut-on trouver des sources qui disent le contraire » ? Il s’agit de prendre en compte nos propres « biais de confirmation » et de développer une vigilance à l’existence de points de vue différents, qui prennent en compte d’autres faits et d’autres interprétations ou vécus de ceux-ci. Nous identifions la « décentration » (cf. infra et portefeuille de lecture) comme la compétence à prendre en compte des points de vue différents. Selon nous, elle est une posture essentielle pour contrebalancer les biais de confirmation (ou encore les phénomènes de « bulles de filtres » et autres « chambres d’écho », cf. infra).
Une activité possible consiste à proposer aux participants de trouver des sources contradictoires sur Internet par rapport à un thème donné. Nous pouvons pour ce faire leur demander d’effectuer une recherche à propos d’un thème de l’une des vidéos complotistes préalablement diffusées. Ils peuvent ainsi faire l’expérience de découvrir différents points de vue et arguments.
Il est possible de prendre un temps formel pour comparer les différents supports et leurs arguments, en leur appliquant la grille d’analyse préalablement développée, par exemple.
Pistes pour débriefing : quel moteur de recherche avez-vous utilisé ? Quels sont les mots clés ou termes de recherche que vous avez testés ? Quels sont les sites que vous avez consultés ? Qui sont les auteurs des documents consultés ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Quels sont les faits décrits dans les différentes sources ? Quels sont les arguments utilisés ? Etc. (cf. notamment la grille élaborée lors de l’activité supra)
Biais de proportionnalité
« Il faut des grandes causes pour de grandes conséquences » (une grande destruction ne peut pas être causée juste par deux terroristes)
Généralisations abusives et bouc-émissaire
Certaines théories simplistes désignent des bouc-émissaires, par généralisations abusives. Ce type de rhétorique est également présent dans certains arguments de propagande guerrière et/ou identitaire.
La responsabilité de plusieurs événements est attribuée à des bouc-émissaires, comme « les juifs », « les francs-maçons », « les médias » ou encore à d’autres groupes par des théories du complot, par exemple.
« Il existe des humains qui ont commis des crimes » signifie qu’au moins un humain a commis des crimes. Cette phrase serait fausse si absolument aucun humain n’avait commis de crime. Dans le langage courant, il arrive que des « tous / aucun », « partout », « toujours / jamais » ou encore « tout le temps » prennent la place des « il existe », « certains », « parfois », etc. Ce n’est pas pareil. Si je dis « tu es toujours en retard » à mon interlocuteur, en réalité il suffit d’une fois où il n’a pas été en retard pour que ma phrase soit fausse. « A tel moment, dans telle circonstance, à un certain nombre de reprises, tu as été en retard » est alors sans doute plus proche de la vérité.
Ces considérations ne sont pas stériles. Il est très différent de dire que trois personnes d’une certaine communauté ont commis des actes criminels (un certain nombre de personnes a adopté un comportement observable à un moment donné) que de dire que toute cette communauté est criminelle.
LECOMTE, J., « La logique face aux mauvais arguments », Philomedia.be, 2014.
Discussion : « chambres d’écho » et « bulles de filtre »
Les participants s’accordent sur une définition des phénomènes de « chambre Echo » et « bulles de filtre ». Concrètement, cela représente les « bulles déformantes » dans lesquelles nous évoluons et qui font que nous ne percevons qu’une partie des informations, selon certains filtres, et que nous les interprétons d’une certaine manière (cf. cet article).
Ensuite, nous leur proposons de réfléchir sur base des questions suivantes :
- Quels impacts ces phénomènes peuvent-ils provoquer auprès des internautes ?
- Quels impacts peuvent-ils avoir pour des contenus d’extrême droite ?
- Quels rôles peuvent jouer les « social bots » pour des élections ?
- Quelles sont nos possibilités d’éviter d’être « aveuglé » par ces phénomènes, comment éviter leurs effets « indésirables » ?
L’enjeu est de prendre conscience que nos sphères d’appartenance, renforcées par les algorithmes des médias sociaux, ont une influence sur leur « réception » des informations. Cela peut renforcer notamment les « biais de confirmation », conforter les internautes convaincus dans leurs opinions préconçues, renforcer des positions militantes ou idéologiques extrêmes, etc. Il est très facile de ne se retrouver qu’avec « un seul son de cloche ». Cela invite entre autres à rester curieux de la diversité et à tâcher de comprendre les points de vue divergents, même si l’on n’est pas d’accord avec eux.
Activité de synthèse : « Crée ta théorie du complot »
Objectif : synthétiser les différents éléments formels abordés durant la journée (caractéristiques d’une théorie du complot).
Si le temps le permet, l’activité consiste à imaginer une théorie du complot, sur base par exemple des « ingrédients » listés ci-dessous.
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Nous suggérons de ne réaliser cette activité que si le temps le permet. En effet, celle-ci peut faire office de synthèse.
Toutefois, il nous semblerait plus intéressant d’apprendre à « bien publier » sur le web, et donc d’élargir le cadre de la discussion, en s’interrogeant sur les critères d’une publication critique.
« Crée ta théorie du complot » peut permettre de « réviser » les caractéristiques de ces théories de manière ludique, mais ne donne pas de clés supplémentaires aux jeunes pour diffuser des contenus de manière responsable. Par ailleurs, les activités de déconstruction et d’analyse nous semblent plus propices à discuter des « failles » de l’argumentation complotiste.