Dossier esprit critique et complotisme

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Rumeur ≠ théorie du complot

Rumeur : « nouvelle, bruit qui se répand dans le public, dont l’origine est inconnue ou incertaine et la véracité douteuse » (cf. Larousse, n. f. Du lat. Rumor, -oris). Dès qu’une source officielle la contredit ou l’atteste, elle cesse d’être une rumeur. Tant qu’une info n’est pas officiellement validée ou invalidée, elle reste une rumeur, qu’elle soit vraie ou fausse. Dès qu’elle est validée, elle devient une info vraie ou fausse. Cf. KAPFERER, J.-N., Rumeurs : le plus vieux média du monde, Paris : Éd. Du Seuil, 1987.

Complot : « résolution menée en commun et secrètement contre qqn et particulièrement contre la sûreté intérieure de l’Etat » (Larousse). Planifiée et accomplie par un petit groupe d’individus puissants, cette action illégale et inconvenante se caractérise par l’influence qu’elle aura sur la suite des évènements en cours. Cf. JAMIN, J., « Rumeurs et complot – Qu’est-ce qu’une théorie du complot ». Dans BOUKO, C. (coord.), CSEM, Vivre ensemble dans un monde médiatisé (pp. 146-147), Bruxelles : CSEM, 2016, p. 75.

Théories du complot et complotisme

Connaissez-vous une ou plusieurs théories du complot ? Chacun peut donner un exemple.

On demande à chaque personne de donner un exemple (NB : pas d’exemple redondant) :

  • Quelle est la version officielle ?
  • Quelle est la version de la théorie du complot ?
  • A quelle version croit-il, et pourquoi, pour quelles raisons ?
  • Qui d’autre y croit / n’y croit pas / ne se prononce pas ?
  • Qu’est-ce qui caractérise ces théories ? Quels sont leurs points communs ?

Nous notons les représentations des membres de la formation sur une affiche ou autre, ce qui peut servir à effectuer des liens ultérieurement.

Le tableau ci-dessous est construit sur base des fiches BePax et de l’ouvrage Vivre ensemble dans un monde médiatisé.

Complot     Théorie du complot         Posture complotiste (ou conspirationniste)
Fait de manipulation avéré, vérifiable.

Réalité historique où un petit groupe a manipulé l’opinion publique, par exemple à l’aide d’un faux témoignage.

Exemples de complot :

– Affaire des couveuses du Koweït

– Mensonge quant à la présence d’armes de destruction massive en Irak

– (Autres réalités par extension ? Accointances politiques avérées, conflits d’intérêts, faits de pots-de-vin avérés, faits de corruption avérés au service d’un groupe d’intérêt, lobbying…)

Idée selon laquelle une instance secrète tire les ficelles.

Vision d’un fait ou d’une partie de l’histoire comme le produit d’un groupe occulte.

On ne peut pas décider si le complot est vrai ou faux.

Exemples de théories du complot amenés par les participants

Décrit une attitude qui implique la recherche systématique des complots, partout, tout le temps.

Fait référence à l’attitude de méfiance systématique envers les informations provenant d’institutions « officielles » (la presse traditionnelle, les gouvernements ou politiciens, les industries pharmaceutiques, etc.) en postulant qu’elles « mentent » et que des individus ou des groupes « tirent les ficelles » de manière plus ou moins secrète, dans l’ombre.

Autrement dit, ici, nous faisons la distinction entre une théorie spécifique qui postule un complot en particulier (exemple : tel attentat a été commandité par une instance secrète) et l’attitude qui revient à interpréter la réalité selon un « prisme » ou un « raisonnement » complotiste, qui s’accompagne généralement d’une rhétorique spécifique.

Nous soulignons l’usage de « théorie du complot » pour discréditer toute remise en cause d’une version officielle. Un usage similaire est fait du terme « fake news » : ceux qui produisent ou diffusent des « fausses informations » accusent leurs opposants de dire des mensonges.

« Lutter contre les théories du complot » pourrait être un instrument de propagande : « il ne faut surtout pas remettre en cause la version officielle, sinon on est discrédité ». Un système totalitaire pourrait avoir tout intérêt à « réprimer » tous les discours qui le remettent en cause. Il en est de même pour différents groupes d’intérêt ou lobbies.

En somme, il faut prendre garde à la tentation de créer des « labels » qu’une autorité supérieure pourrait appliquer en évitant toute remise en question critique.

Comme le dit Lordon, « il y a deux faces au débat, et s’il y a lieu de comprendre le mécanisme qui fait voir des complots partout, il y a lieu symétriquement de comprendre celui qui fait voir du complotisme partout ».

D’un autre côté, plusieurs complotistes refusent que leurs thèses soient qualifiées de « théories du complot ».

Ces termes étant galvaudés, utilisés pour tout et son contraire, il convient de les utiliser avec une grande précaution.

En somme, par convention, nous dirons qu’un complot (fait de manipulation avéré, vérifiable) diffère d’une théorie du complot (idée selon laquelle une instance secrète tire les ficelles) qui elle-même est à distinguer d’une posture complotiste, du complotisme (consistant à voir des complots partout). Cette posture, le complotisme, peut prendre différentes formes, que l’on peut identifier selon les caractéristiques suivantes :

  • « Tout le monde ment »
  • « Tout est lié »
  • « Rien n’arrive par hasard »
  • « Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être »
  • Doute radical par rapport aux versions officielles
  • Une théorie du complot explique l’inexplicable ; elle se base sur des lacunes dans la version officielle
  • Les vidéos montrent des choses qu’on ne voit pas d’habitude (angle mort, dessous des cartes, zoom, zones de flou / d’ombre)
  • Ne sélectionne que les sources qui confortent son point de vue (univocité)
  • Absence d’autocritique (dogmatisme)

Ainsi, il se peut qu’une personne adoptant une attitude « complotiste » élabore une « théorie du complot » et que le « complot » soit avéré au final ! Le problème est que l’on peut croire des choses vraies pour de « mauvaises » raisons (raisonnement non-valide).

En logique, c’est la différence entre la vérité des propositions (par exemple, la proposition « il pleut » est vraie si effectivement il pleut) et la validité du raisonnement (par exemple, le raisonnement « s’il pleut, je vais faire du vélo, or il pleut, donc je vais faire du vélo » est valide).

Un raisonnement invalide peut amener à croire des choses vraies : « s’il pleut, je vais faire du vélo, or il ne pleut pas, donc je ne vais pas faire de vélo » n’est pas un raisonnement valide, mais dans les faits je ne vais pas faire de vélo.

Exemple de raisonnement non valide avec conclusion vraie (Voir aussi « Sophisme » sur Wikipédia, qui reprend une liste d’arguments fallacieux) :

Tous les chats sont des mammifères.

Or, tous les félins sont des mammifères.

Donc, tous les chats sont des félins

Les chats sont effectivement des félins, mais si l’on remplace « chats » par « chiens », on constate que le raisonnement est caduc !

En nous concentrant sur la « forme » des documents complotistes, sur leur construction et sur leur rhétorique, nous nous concentrons davantage sur la question du raisonnement que sur le contenu de ceux-ci.

Il ne nous appartient pas de dire que telle ou telle théorie du complot fait référence ou non à un complot avéré ; si elle est vraie. Il nous appartient par contre de décrire les points communs des « logiques complotistes », y compris dans leurs biais de raisonnement.

C’est une des raisons pour lesquelles nous préférons cibler les éléments de compréhension de la construction médiatique et de la rhétorique fallacieuse complotiste, et non nous focaliser sur l’une ou l’autre « théorie » particulière.