Conception, réalisation et évaluation d’un module de formation : « Développer l’esprit critique par rapport au complotisme »

Descriptif du projet

Dans le cadre de sa mission de développer un climat de gestion constructive des conflits, l’Université de Paix s’intéresse au rapport des individus aux « informations » et aux « faits ». Comme nous le demandions dans cet article, « un mensonge poserait-il problème s’il n’y avait personne pour y croire » ?

Plus largement, il s’agit de la question de nos croyances et de la gestion de nos désaccords. Il s’agit de s’accorder sur les faits et de décider d’un vivre-ensemble commun.

En l’occurrence, dans l’Histoire, des complots à différentes échelles ont existé et ont pu être observés. Il s’agit de faits de manipulation avérés. Les « théories du complot » concernent quant à elles des thèses qui postulent qu’un individu ou un groupe d’individus « tire les ficelles dans l’ombre », notamment par rapport à un événement spécifique. Le « complotisme » désigne quant à lui l’attitude qui implique la recherche systématique des complots, partout, tout le temps. C’est une posture de méfiance systématique envers les infos provenant d’institutions dites « officielles », par exemple.

Notre position n’est donc pas de remettre en cause l’existence de complots, avérés ou encore à prouver. Notre objectif n’est pas non plus d’étiqueter les théories du complot en fonction de nos propres jugements sur leur vérité ou leur fausseté. Autrement dit, nous laissons de côté la question de la véracité des thèses complotistes pour nous concentrer sur la manière dont elles sont construites et sur les attitudes plus ou moins (ir)rationnelles qui les sous-tendent. Nous préférons d’ailleurs nous concentrer sur une déconstruction des rouages et parler de « la forme » complotiste plutôt que des contenus en tant que tels. En effet, le terme de « théorie du complot » est également utilisé pour discréditer toute remise en cause d’une version officielle d’un événement. « Lutter contre les théories du complot » pourrait de ce fait être un instrument de propagande : « il ne faut surtout pas remettre en cause la version officielle, sinon on est discrédité ».

Il s’agit donc de nous pencher sur la « logique » et la rhétorique complotiste : comment une théorie du complot est-elle construite ? Comment développer des « habitudes de questionnement critique » à l’égard d’un document qui relève d’une « logique complotiste », mais aussi à l’égard des informations « officielles » ? En bref, il s’agit de fournir des outils et des clés aux participants afin qu’ils puissent se construire un jugement de manière autonome à l’égard des documents auxquels ils sont confrontés.

Cet enjeu rejoint parfaitement un des objectifs de l’éducation aux médias. C’est la raison pour laquelle nous avons soumis le projet suivant à la CFWB suite à l’Appel à projet d’éducation aux médias 2017.

Voir aussi CSEM, Les compétences en éducation aux médias : cadre général, édition 2016, Csem.be (Bruxelles), 2016 : http://www.csem.be/cadre_de_competences

Résumé

Le projet vise à créer, tester et diffuser un module de formation pour développer l’esprit critique par rapport aux attitudes conspirationnistes (« théories du complot »), à l’intention de deux groupes cible (un groupe de jeunes et un groupe d’adultes chargés de les encadrer). Plus largement, il s’agit de susciter et développer une analyse méthodique et autonome par rapport à des documents médiatiques, à travers des « réflexes de questionnement ».

Objectifs

  1. Compiler un ensemble de ressources existantes sur les thématiques traitées, issues de différents domaines : sociologie, psychologie et psychologie sociale (dynamiques à l’œuvre dans le cadre des argumentaires complotistes, biais cognitifs à l’œuvre, etc.), éducation aux médias (en particulier sur la question du numérique), éducation à la paix et à la gestion de conflits (dialogue, écoute, respect des croyances et des faits…), philosophie et éthique, voire rhétorique (arguments fallacieux typiques)…
    En l’occurrence, à l’Université de Paix, nous avons connaissance de ressources existantes au CSEM, à Media Animation, à BePax (ex Pax Christi), issues du mouvement « zététique » en France, issues du cursus en éducation aux médias de l’IHECS… et disposons également de ressources pédagogiques à propos de la cognition et de l’adhésion à des croyances, de la prise en charge émotionnelle d’un désaccord, etc.
  2. Construire un module de formation concret avec des activités variées et des mises en situation visant une appropriation active des thèmes abordés. Dans le même temps, construire un questionnaire d’évaluation pour la formation.
  3. Dans le même temps, communiquer au public-cible sur la possibilité de se former gratuitement à ce module
  4. Prester les deux sessions de formation et procéder à leur évaluation
  5. Rédiger le compte-rendu du dispositif de formation et diffuser (sur notre site web, dans notre revue imprimée à 3000 exemplaires…)

Calendrier, description et méthodologie des différentes phases du projet

  1. Juillet 2017 : contact avec des associations-ressources, lectures et documentation visant à compiler des sources théoriques et pratiques pour construire la formation. Notre objectif est de combiner nos ressources relatives aux croyances et à l’éducation à la paix avec celles de « l’éducation aux médias ». Nous ferons pour cela appel à Carmen Michels, en tant que partenaire du projet, diplômée en éducation aux médias (Master IHECS), ayant effectué son mémoire sur la question des théories du complot.
  2. Juillet 2017 : construction du module. Notre objectif à ce stade est d’effectuer un tri qualitatif et une réappropriation des ressources existantes. Afin de créer un module cohérent et transversal, nous envisageons de nous baser sur notre pratique et notre expérience des activités qui fonctionnent de manière avérée pour susciter le questionnement critique, tout en croisant ce regard avec celui d’autres professionnels cités ci-dessus.
  3. Juillet-août 2017 : communication aux deux publics concernés. Par notre réseau en tant qu’Organisation de Jeunesse et notre implantation dans des écoles secondaires et supérieures (à travers nos programmes éducatifs, comme Graines de médiateurs ou Prévenir et intervenir face au harcèlement scolaire…), notre objectif est de constituer deux groupes, un groupe de jeunes et un groupe d’adultes qui encadrent des jeunes, qui auraient un intérêt marqué par rapport à la thématique.
  4. Entre le 30/10 et le 05/11/2017 (congés de Toussaint) : prestation des 2×1 journée de formation auprès des deux groupes constitués.
  5. Avant le 31 décembre 2017 : diffusion du compte-rendu du dispositif de formation.

Description du module de formation

Objectifs pédagogiques

  • Apprendre à identifier les « logiques » complotistes et à les « décoder »
  • Développer un réflexe de questionnement (« habits of inquiry »), non seulement à l’encontre des théories du complot, mais plus largement à l’encontre de tout document médiatique (habitudes de questionnement, d’enquête, d’« investigation »). Par exemple, interroger la source d’un document, se renseigner quant à son ou ses auteurs et à leurs intentions, le croiser avec d’autres sources d’un autre type…
  • Prendre conscience de la pluralité et de la diversité des croyances, des points de vue et des perspectives
  • Émettre des hypothèses quant aux intentions qui constituent un message, et à la multiplicité des interprétations et réappropriations qu’il peut susciter
  • Comprendre les dynamiques sociales derrière la propagation d’« informations », de nouvelles (qu’elles soient « vraies » ou « fausses »)
  • Développer une réflexion sur les usages et enjeux des technologies et des réseaux en ligne
  • Élaborer des pistes d’argumentation constructive face à des attitudes complotistes

Contenus

Méthodes et supports

  • Eclairages théoriques quant au complotisme
  • Illustrations et parcours d’outils réalisés par d’autres institutions et associations (Média Animation, BePax, etc.)
  • Exemples et études de cas (vidéos, articles)
  • Elaboration et application d’une grille d’analyse sur un mode constructiviste
  • Mise en situation / jeu de rôle
  • Partage de retours réflexifs

Lieu(x) des activités : Université de Paix, Namur

Formation 1 : Groupe de jeunes de 16 à 26 ans (accompagné d’un ou deux animateurs), le 31/10/2017, de 9h30 à 16h30

Formation 2 : Groupe d’adultes encadrant des jeunes adolescents, le 02/11/2017, de 9h30 à 16h30

Formateurs : Julien Lecomte et Carmen Michels

Prolongements réflexifs du projet

Les actions visant à mettre en perspective « les théories du complot » mettent régulièrement le focus sur le contenu de ces théories et non sur la logique paranoïde et les dynamiques sociales qui sont derrière. Or, il est parfois impossible de déterminer dans quelle mesure une théorie conspirationniste est effectivement fausse. Comment se positionner, par exemple, par rapport aux « lanceurs d’alerte » qui dénoncent des manipulations ou dérives à plus ou moins grande échelle (Wikileaks, affaire Snowden…), qui auraient pu être considérées à l’époque comme des « complots » ?

Par conséquent, le projet que nous proposons consiste à :

  1. développer une prise de recul visant à interroger les documents et les dynamiques qui les entourent, afin de pouvoir juger en toute autonomie et connaissance de cause ;
  2. s’interroger quant aux mécanismes d’adhésion ou de rejet par rapport à une thèse ou à un message, quel qu’il soit.

Il s’agit donc de questionner de manière méthodique les messages auxquels nous sommes confrontés, tout en développant une réflexion sur les relations (de confiance, de méfiance, de critique constructive ou non) que nous entretenons par rapport à ces messages.

En effet, au-delà des contenus de certaines théories conspirationnistes, il y a des dynamiques de méfiance irrationnelles et partisanes souvent liées à l’adhésion à ces thèses. Pourquoi certains individus croient-ils en des thèses complotistes ? Pourquoi les partagent-ils, les diffusent-ils, les défendent-ils, tout en reniant les médias d’information dits « traditionnels » ? Pourquoi les « faits » ne les font-ils pas changer d’avis ? L’analyse critique de ces attitudes sociales nous semble importante pour bien comprendre le phénomène complotiste.

Nous proposerons donc d’élargir le questionnement en parlant, d’une part, des outils pour évaluer la fiabilité des contenus diffusés (indépendamment du fait qu’ils soient complotistes ou non) et, d’autre part, des dynamiques sociales complotistes (indépendamment de la véracité supposée ou non des contenus véhiculés).

A l’Université de Paix, enfin, nous estimons qu’il est important de développer une approche globale, comme nous le faisons pour prévenir la violence et le harcèlement en général. En l’occurrence, dans sa « pyramide de prévention », Deklerck montre que les mesures « curatives » (« anti violence ») sont d’autant plus efficaces si on a travaillé sur le bien-être en amont. Ici, l’idée serait de travailler non seulement sur les symptômes (logique complotiste), mais aussi sur « comment fonctionnent les médias » et « comment en faire bon usage » en général.

Résultats attendus

Au terme du projet…

  • Deux groupes de jeunes et d’adultes seront outillés pour interroger des documents médiatiques de manière critique et méthodique, en particulier des documents témoignant d’une logique complotiste
  • Un module de formation court sera créé. Il pourra être presté ultérieurement à l’Université de Paix asbl et alimenter nos outils de manière générale, mais aussi par des membres du groupe d’adultes ayant suivi la journée de formation gratuite
  • Ce module et son déroulé seront communiqués explicitement et entièrement au secteur afin que chaque éducateur puisse se le réapproprier même sans l’avoir suivi