Manfred Peters a présidé le Conseil d’administration de l’Université de Paix durant de nombreuses années et ce, jusqu’en 2012.
Entretien avec Manfred Peters, Président du Conseil d’administration (2007)
Propos recueillis par Christine Cuvelier et initialement publiés dans le trimestriel de l’Université de Paix en septembre 2007.
Si nous te demandions de te présenter brièvement, que dirais-tu ?
Originaire de la Communauté germanophone de Belgique, j’ai dû quitter ma région natale pour entamer des études universitaires, avec un cheminement peu fréquent : deux réseaux, deux Communautés (candidature aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, licence à l’Université de l’Etat à Liège, doctorat à la Rijksuniversiteit Gent). Le pluralisme était donc, dès mes années d’études, une réalité vécue, une valeur bien concrète.
Je suis enseignant, chercheur (spécialités : les théories linguistiques du 16e siècle et la sociolinguistique), sculpteur (pierre calcaire et marbre), avide de rencontres interculturelles et amoureux de l’Afrique Noire. Mes occupations m’ont amené à voyager dans des dizaines de pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, d’Europe de l’Est et d’Ouest.
C’est ainsi que j’assume la présidence de l’Association des Facultés ou Établissements de Lettres et Sciences Humaines des universités d’expression française, un des réseaux institutionnels de l’Agence universitaire de la Francophonie. Dans le cadre de mes contacts internationaux que j’ai également lancé un projet de développement dans la région des Grands Lacs (« Alphabétisation et conscientisation au Kivu »).
Qu’est ce qui t’a conduit à l’Université de Paix ?
Cela tient de l’anecdote. Faisant tous les samedis le trajet Namur – Liège, je passais par Huy où je voyais le panneau indicateur « Université de Paix ». Pour moi, cela ne représentait rien et je n’ai jamais trouvé le temps de suivre les panneaux en question. Mais un jour, dans un restaurant self-service namurois, j’ai été accosté par une dame qui me demandait si je ne désirais pas me faire membre de l’Université de Paix. Elle m’a remis une documentation et je me suis inscrit à une « session brève » sur le dialogue.
Mais il y a autre chose. « Nomen est omen », le nom est un présage, dit-on en latin. Or l’étymologie de « Manfred » est « l’homme de la paix », « Mutu wa Amani » en swahili. C’est ainsi qu’on m’appelle au Kivu. J’étais donc, en quelque sorte, prédestiné à m’investir dans l’irénologie ou la gestion des conflits.
Quel a été ton parcours dans l’institution ?
Ma « carrière » a commencé dès la première session (pour autant que je me rappelle c’était en décembre 1970). L’interprète avait raté son train et j’ai proposé spontanément de faire la traduction français – néerlandais et néerlandais – français. Apparemment, malgré mon manque d’expérience en cabine, cela s’est bien passé, et les responsables de l’institution m’ont demandé de revenir comme interprète français – allemand et allemand – français à une rencontre d’anciens de « sessions longues », c’est-à-dire de sessions d’été d’une durée de quinze jours.
Et puis, cela a été l’engrenage : animateur bénévole (j’ai dirigé des dizaines de sessions de week-end ou de sessions d’été), membre de l’équipe de direction (avant la constitution de l’Université de Paix en association sans but lucratif), administrateur, membre du Conseil académique et, depuis une vingtaine d’années, président du Conseil d’administration.
Comment évalues-tu ce long parcours ?
Cela a été une expérience formidable, avec la rencontre de jeunes du monde entier et l’amitié avec des personnalités exceptionnelles telles que les lauréats du Prix Nobel Alfred Kastler et Adolfo Perez Esquivel.
Citons également, par ordre alphabétique : Mohammed Arkoun, Heinrich Böll, Kit Bricca, Don Helder Camara, Lanza del Vasto, Walter Evangelista, Jean Fabre, Roger Garaudy, André Grega, Corneille Heymans, Francis Jeanson, Manca Kosir, Paul M.G. Levy, Jean-Marie Muller, Robert Oppenheimer, Plantu, Paul Rogers, Burckhard Steinmetz, Inge Thorsso et Wilfried von Bredow. Quel trésor d’expériences humaines et scientifiques !
Au niveau de la méthodologie de la gestion des conflits, l’Université de Paix m’a tout appris. Ce que j’ai pu offrir, en toute modestie, à l’institution m’a été rendu au centuple.
Peux-tu nous citer l’évènement le plus marquant ?
Le fait le plus marquant a été, sans conteste, la rencontre avec le grand pédagogue brésilien Paulo Freire. Grâce à l’approche conscientisante, j’ai trouvé le moyen de faire le lien entre mes recherches en sociolinguistique et mon engagement socioculturel.
Paulo Freire part de l’hypothèse que le langage est à la fois point de repère et point d’appui pour l’affirmation de l’identité de l’homme, qu’il représente l’intermédiaire inévitable entre celui-ci et le monde, entre lui et l’autre, lieu de l’expérience du monde et de soi. Le langage instaure, institue le monde pour le sujet parlant. Cette constatation est devenue un des axiomes de mes propres travaux.
Tu rédiges l’éditorial de ce périodique depuis de nombreuses années. Quel regard portes-tu sur l’évolution du Trimestriel ?
Au début, le périodique était une modeste feuille stencylée distribuée à quelques centaines d’exemplaires. Peu à peu, c’est devenu une publication de haut niveau, avec une rédactrice en chef qui y consacre une partie importante de son temps et avec une graphiste dont la créativité est remarquable.
Il est difficile de comparer l’actuel Trimestriel réalisé par des professionnels et le bulletin d’il y a vingt-cinq ans, produit à la hâte par des bénévoles. Le tirage aussi est devenu beaucoup plus important.
Au niveau du contenu, il y eu une évolution constante. Au début, le Trimestriel était surtout un outil d’information sur les activités de l’institution (annonce des sessions qui, à l’époque, étaient toutes ouvertes au grand public). Peu à peu, des articles de fond se sont ajoutés. Le Trimestriel reflète très bien la richesse de la réflexion qui se fait à tous les niveaux : équipe permanente, Conseil académique et Conseil d’administration.
T’arrive-t-il d’utiliser les outils de l’Université de Paix dans ton milieu professionnel ?
Chaque fois que l’occasion se présente, j’applique les principes de la gestion positive des conflits. C’est ainsi que je suis parvenu à faire dialoguer des collègues qui ne communiquaient que par lettres, alors que leurs bureaux se trouvent dans le même couloir.
J’intègre également dans mon enseignement, surtout en linguistique générale, des éléments empruntés à l’Université de Paix. Ainsi, dans le cours consacré à la manipulation par le langage, je parle de la conscientisation ou de la nécessité de « déconditionner » l’Homme. La devise de Dominique Pire « Agir sans savoir est une imprudence ; savoir sans agir est une lâcheté » est sous-jacente à la réflexion…