Novembre 2001. Trois mois que Cathy Van Dorslaer a réintégré, après cinq ans de détachement, son école et ses classes du technique et du professionnel, avec pour projet d’initier ses élèves à la Communication Nonviolente et à la gestion positive des conflits et de partager son expérience avec ses collègues.
Elle nous offre ici son témoignage (initialement paru dans le trimestriel n°77, en 2001).
« Des outils de l’Université de Paix en classe, ça marche ? »
Le premier septembre, je retrouve donc la cour de récréation, la mallette, le tableau noir, la poussière de craie, les « têtes blondes »… avec un réel bonheur et l’enthousiasme (me disent mes collègues) d’une jeune stagiaire. Je suis titulaire de nombreux cours qui me permettront (au travers du programme officiel) de travailler le respect de soi et de l’autre, l’écoute, la communication, la compréhension et la gestion du conflit : Clés pour l’adolescence, Gestion collective de projets pluridisciplinaires, Religion, Expression en communication, Français, Actualité.
Je suis également impatiente de confronter les nombreux outils que j’ai découverts, appliqués et enseignés durant trois ans à l’Université de Paix à un public que j’ai moins eu l’occasion de rencontrer : des élèves de l’enseignement technique et professionnel qui, me dit-on, se montrent davantage violents, agressifs, démotivés qu’avant mon départ.
Il serait trop long de retracer ici trois mois de travail, de tâtonnements parfois. Je peux juste dire que les résultats sont à la juste mesure des moyens investis, ou, dit autrement, que je suis heureuse et satisfaite de ce qui se passe entre moi et mes élèves, de l’évolution qui se dessine dans ma classe, mais que je ne peux rien dire de l’impact que notre façon de fonctionner a dans d’autres cours ou hors de l’école. Il est encore trop tôt, me semble-t-il, pour évaluer. J’ai l’intuition cependant d’œuvrer comme un jardinier, plantant patiemment mes bulbes, alors que la saison est morose et parfois hostile, pour qu’au printemps germent des fleurs et que l’été soit une apothéose de couleurs et d’odeurs ou, soyons modeste, pour qu’il fasse bon vivre au jardin. Je me contenterai donc de préciser quelles règles de conduite ou quels outils m’ont semblé les plus pertinents, parmi tous ceux que j’emportais dans mes bagages et quelles adaptations il m’a semblé juste d’apporter.
- Le règlement (propre à l’établissement ou propre au cours) et son application sont un support indispensable en début d’année. Personne ne se connaît encore, la communication positive ne se fait pas spontanément. Savoir clairement ce qu’il est permis ou pas de faire sécurise chacun. Il est primordial que chacun en comprenne le sens, l’applique et sache clairement ce qu’il encourt s’il l’enfreint. Je dois avouer que j’en avais perdu l’habitude, travaillant avec des adultes motivés par une démarche qu’ils ont choisie. J’ai dû réapprendre la rigueur (une décision prise doit être juste et non motivée par l’énervement de l’instant et doit surtout être appliquée), j’ai également fait appel à toutes mes connaissances du langage non-verbal pour consolider mes propos de l’intonation, la posture, les gestes ou les expressions nécessaires à l’impact que je souhaitais avoir.
- Le message « Je » et la Communication Nonviolente. Avoir profondément ancrés en moi les principes de base de la Communication Nonviolente (faits/sentiments/besoins/demande) m’ont permis, bien des fois, de pouvoir me positionner avec force, mais surtout avec respect et empathie, face à un comportement d’élève qui me posait problème ou posait problème au groupe. J’ai pu m’exprimer, ou l’aider à s’exprimer autrement. A chaque fois, nous nous sommes entendus. Le fait de savoir qu’un comportement violent, agressif, est, pour reprendre l’expression de Marschall Rosenberg « l’expression maladroite d’un besoin inassouvi » m’a permis de pouvoir recevoir avec indulgence et détachement les manifestations de découragement, d’inquiétude, de tristesse,… de mes élèves, de les traduire, de les comprendre ; sans me sentir accusée, jugée, et sans donc être tentée avant tout de me défendre ou de réprimer. Cette sérénité-là est un atout majeur, une force mais aussi une façon, la meilleure peut-être, d’initier à une communication positive.
- Alterner théorie et analyse sur le vif. Je suis, dans mes cours, le fil conducteur des formations que j’ai données précédemment ; qu’il s’agisse de la mise en place d’un climat de respect au sein de la classe, de la découverte des composantes de la communication non-verbale et verbale, de la prise de conscience du positionnement de chacun en situation de conflit, de l’expérimentation de la difficulté à écouter de façon empathique, de l’utilisation de la Communication Nonviolente. Mais, à chaque fois qu’une situation s’y prête (et cela arrive très souvent) je quitte ma démarche chronologique pour appliquer les outils qu’il convient et j’explique ensuite aux élèves ce qui s’est passé, selon quelle logique j’ai procédé, avec quels outils ils peuvent analyser ce qui se passe, comment les choses auraient pu de dire autrement. Il a fallu un peu de temps pour qu’ils se fassent à ce genre de méthodologie, j’ai mené la danse seule pendant tout un temps, mais ils commencent maintenant à disposer de suffisamment de données pour pouvoir, petit à petit, fonctionner seuls ou pour établir des liens entre les différents moments d’apprentissage et les moments d’expression réels.
- Bien que je me sois donné pendant plusieurs semaines pour premier objectif de travailler la cohésion du groupe, la découverte positive et le respect de l’autre ; il m’a fallu constater que le « climat relationnel » de certaines classes ne permettait toujours pas une expression confiante de chacun face au groupe : certaines classes sont fort nombreuses, les élèves sont souvent à des niveaux de maturité et de concentration très différents, le temps imparti (50 minutes) est trop court pour garantir l’écoute et l’expression de tous, le non-jugement ou la confidentialité ne sont pas toujours respectés au terme du cours. Je procède donc parfois, quand le sujet de réflexion est plus personnel, de façon individuelle, demandant aux élèves de travailler seul, par écrit, dans un dossier qu’ils me remettent (s’ils le souhaitent). Je renvoie par la suite à la classe, de façon anonyme, ce qui est apparu. Un débat naît souvent, permettant à chacun, en fin de compte, d’évoluer dans la découverte de soi et de l’autre.
Le mot de la fin alors, après un trimestre… cela marche ! Il est passionnant de confronter une théorie à une pratique aussi forte, mouvante, bousculante. Il est surtout émouvant de découvrir sous des dehors bravaches et parfois, reconnaissons-le, désagréables, la sensibilité, la fragilité, la générosité, l’humour, le courage de chacun de ses élèves. Mes élèves et moi-même sommes ravis de cette expérience, nous nous le disions encore hier, à la dernière heure de la journée, alors que nous nous sentions un peu engourdis par une étrange chaleur et que nous ne savions plus s’il fallait l’attribuer au local surchauffé ou au plaisir d’être ensemble à rire en écoutant Sébastien, Thomas, François, Jean-Sébastien, et même Anaïs se lancer courageusement dans des exercices d’improvisation.