Dans cet article, nous proposons de catégoriser les stratégies de régulation des émotions selon deux axes. Sur le premier axe, nous distinguons les techniques plutôt orientées vers une action au niveau des pensées (mental) de celles impliquant plutôt une action au niveau des comportements (corps – mouvement). Sur le second axe, nous distinguons des méthodes de « confrontation » de méthodes d’« évitement » par rapport à l’émotion.
Par Julien Lecomte
Avant de détailler cette typologie, commençons par quelques précisions.
D’abord, à l’Université de Paix, et ce en lien avec plusieurs approches thérapeutiques actuelles, notre message n’est certainement pas qu’il faut s’interdire de ressentir des émotions, même si celles-ci sont désagréables. Une émotion, quelle qu’elle soit, n’est pas mauvaise. Une approche connotée moralement des émotions s’accompagne d’ailleurs généralement de méta-émotions, c’est-à-dire d’émotions à propos du fait de ressentir des émotions : « je ne devrais pas ressentir cela », « je me sens coupable d’être encore en colère », « je suis découragé et triste de ne pas parvenir à me sentir joyeux alors que j’essaie de toutes mes forces », etc. L’émotion est quelque chose qui peut surgir de façon quasi instantanée, immédiate. Cela étant dit, cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire quelque chose qui nous permette d’aller vers un mieux-être, à partir de et avec cette émotion.
Ensuite, nous ne proposons pas ici une « recette universelle » pour canaliser et apaiser les émotions. Il existe toutefois des stratégies plus ou moins efficaces selon les individus et les circonstances. Certaines techniques vont très bien fonctionner pour les uns et beaucoup moins bien pour d’autres. Nous pouvons considérer ces différentes méthodes comme des repères : l’enjeu est que vous puissiez vous réapproprier les approches qui vous conviennent.
Le corps ou le mental ?
Il existe plusieurs manières d’appréhender les émotions. Nous distinguons celles qui font intervenir plutôt les comportements/les mouvements et/ou les cognitions/les pensées.
Exemples de stratégies comportementales/motrices : aller courir, frapper dans un punching-ball, pratiquer des techniques de respiration, faire du yoga, manger un bon repas, prendre un médicament relaxant, dormir, faire une méditation orientée sur les sensations corporelles, travailler sa posture, agir pour solutionner un problème, demander de l’aide, etc.
Quelques exemples de stratégies cognitives/mentales : penser à autre chose, voir la situation autrement, faire une méditation orientée sur les pensées, suivre une thérapie orientée sur la compréhension des états mentaux, rechercher des causes / des solutions au problème, imaginer des scénarios, etc.
Toutes ces actions peuvent être pertinentes et efficaces. Les approches par le mental ne sont pas meilleures dans l’absolu que les approches par le corps, et vice versa. Néanmoins, il est possible que vous privilégiiez plutôt des façons de faire à d’autres, et que dans certains cas, celles-ci soient dysfonctionnelles. Nous avons en effet toutes et tous des schémas de réaction devenus plus ou moins « automatiques » lorsque nous ressentons des émotions. Ce sont nos attitudes préférentielles pour les réguler, même si elles ne sont pas toujours adaptées. Cette première distinction invite donc à être plus attentifs à utiliser à la fois le mental et le corps pour une régulation plus fluide des émotions.
Confrontation ou évitement ?
Nous observons également deux rapports à l’émotion : la confrontation et l’évitement. La confrontation consiste à « regarder l’émotion en face » (on se confronte à la situation stressante ou à la pensée stressante), tandis que l’évitement consiste plutôt à tâcher de la contourner, de faire ou de penser à autre chose.
Exemples de confrontation à l’émotion : parler de la situation problématique, agir pour la solutionner, réfléchir au problème, se faire traverser par l’émotion, la vivre pleinement…
Exemples d’évitement de l’émotion : jouer à un jeu vidéo, faire du sport, penser à autre chose, lire un livre, prendre un médicament…
De nouveau, la confrontation n’est pas meilleure en soi que l’évitement, et inversement. Cela dépend des personnes et des situations. Nous détaillons ceci plus loin.
En guise de synthèse intermédiaire, nous pouvons combiner nos deux axes de la sorte :
Nous pourrions ajouter des subdivisions à ce modèle, par exemple en considérant les stratégies selon qu’elles sont plutôt solitaires ou avec autrui.
Aussi, certaines stratégies proposées dans l’évitement peuvent être utilisées aussi en confrontation, et vice versa. Cela dépend en effet de notre rapport à l’émotion. Par exemple, si nous pratiquons un sport dans le but de nous défouler, alors ceci peut être situé dans la confrontation, et moins dans l’évitement.
Il ne s’agit donc pas d’une catégorisation absolue (celle-ci peut prêter à discussion), mais bien plutôt de repères pour nous positionner individuellement en nous demandant où nous nous situons lorsque nous ressentons telle ou telle émotion.
Comment savoir quelles sont les méthodes adéquates pour nous ?
Parmi toutes ces actions possibles, quelles sont celles qui conviennent le mieux ? Comme nous l’avons dit, cela dépend de plusieurs facteurs.
Une question à se poser : pouvons-nous changer la situation qui nous occasionne une émotion désagréable ?
C’est très différent par exemple de si vous stressez à cause des résultats à venir après un rendez-vous médical ou bien à cause de la vaisselle non-faite chez vous. Dans le second cas, pour retrouver de la quiétude, il est possible de faire la vaisselle, de demander à quelqu’un d’autre de la faire, etc. Ici, une stratégie comportementale de confrontation est sans doute plus adaptée qu’un évitement qui ne ferait que reporter le problème. A l’inverse, dans le premier cas, quoi que vous fassiez, la teneur des résultats médicaux ne changera pas. A la limite, vous pourriez demander de les recevoir plus vite que prévu, mais en imaginant que ça ne soit pas possible, vous n’avez pas de prise sur le stimulus stressant. Dans cette situation, les stratégies de confrontation par le comportement risquent donc d’entretenir un sentiment d’impuissance, et de mener à des ruminations mentales dans lesquelles vous ressassez votre incapacité à changer les choses. Peut-être serait-il alors plus judicieux d’avoir recours à des stratégies d’évitement temporaires, ou de travailler plutôt au niveau corporel (qui en soi peut représenter une forme d’évitement, dans la mesure où il éloigne des pensées anxieuses).
Autrement dit : lorsque vous pouvez solutionner relativement facilement la situation, alors il est judicieux d’agir en ce sens. Cela vous stresse d’oublier de remplir un papier ? Remplissez-le. Cela vous préoccupe d’avoir une conversation avec votre ami ? Allez lui parler. Etc. Dans le cas contraire, quand vous manquez d’énergie ou de pouvoir d’action, il peut être plus adapté d’éviter la situation, de s’en divertir ou encore de tâcher de la voir autrement.
Autre question : la situation stressante se répète-t-elle, ou est-elle plutôt ponctuelle ?
Quelqu’un vient de vous couper la priorité de droite et cela vous a énervé ! C’est une situation ponctuelle. Vous pouvez vous confronter à celle-ci en tâchant de la comprendre, en cherchant des solutions pour l’avenir : cela n’amènera pas à grand-chose, si ce n’est à vous occuper le corps et/ou l’esprit avec ce vecteur de stress. Dans ce cas, il est peut-être plus opportun de « passer à autre chose ». En revanche, dans le cas où, à chaque fois que vous prenez la voiture, cela vous stresse, alors il est peut-être plus judicieux de tâcher de comprendre ce qui vous angoisse, et comment vous pourriez trouver des solutions pour être plus apaisé. Il est possible de voir la situation autrement (adopter d’autres points de vue) que par le prisme de l’anxiété, par exemple.
En bref : si la situation est ponctuelle, il n’est pas nécessaire de la ruminer ou de s’y accrocher. Si elle se répète, il peut être pertinent de s’y confronter afin d’y trouver des solutions (si vous pouvez agir en ce sens) ou de la voir autrement.
Enfin, une démarche d’introspection et de conscience bienveillantes des émotions ressenties
Les émotions sont des signaux, et les comportements et pensées qui les accompagnent ont des conséquences sur votre bien-être.
Prenons encore un exemple. En période d’examens scolaires, est-il plus judicieux de penser à autre chose, ou bien de penser à sa matière ? Cela dépend ! Si les pensées se limitent à des ruminations, à un stress qui bloque l’étude, alors sans doute vaut-il mieux se changer les idées pendant un moment. A contrario, si l’évitement dure trop longtemps et se mue en une sempiternelle procrastination, cela risque d’aboutir à un échec scolaire renforçant le stress lié à cette situation !
Dans cette optique, il est important de prendre le temps d’amener tout cela à votre conscience, avec bienveillance. Certaines de nos réactions n’amènent pas les résultats que nous souhaiterions. Par rapport à cela, il n’est pas utile de nous auto-flageller. Au contraire, pour amorcer un changement, il est recommandé de procéder par « petits pas » et de se donner des opportunités de réussite ! Imaginez des comportements que vous pourriez modifier ou mettre en place facilement pour votre bien-être avant de vous attaquer aux situations les plus stressantes, et reconnaissez vos victoires…
Se sentir frustré de ne pas réussir à changer une émotion, s’en vouloir de la ressentir lorsqu’on la ressent, c’est l’un des meilleurs moyens d’y rester accroché…
Quelques notes et réflexions pour prolonger cet article
La liste d’exemples est loin d’être complète, et elle est un peu simpliste : « il y a tellement plus à faire »
Il faut voir le but initial de l’article. Il s’agit d’un article (initialement formaté pour notre périodique trimestriel) de vulgarisation destiné à un public généraliste. De ce fait, les exemples doivent être simples et sans équivoque. De plus, nul n’écrit que ces exemples représentent une liste exhaustive des stratégies, au contraire. Nous n’avons pas présenté des « stratégies complexes », plus élaborées (et généralement mixtes), par souci de clarté.
Aussi, cet article s’inscrit explicitement dans un paradigme cognitivo-comportementaliste. Celui-ci a aussi fait ses preuves, et en même temps nous ne prétendons pas qu’il s’agit du seul paradigme d’appréhension des émotions, loin de là. C’est un angle particulier, parmi d’autres approches.
L’article entretiendrait une opposition entre corps et mental
Au contraire, nous pensons qu’il s’agit d’une distinction poreuse et qu’il n’existe pas de stratégie « purement motrice » versus des stratégies « purement cognitives ». C’est même métaphysique comme question, et en philo, en effet, on remet fort en cause une frontière nette entre le corps et l’esprit : il s’agirait plutôt d’un continuum.
En aucun cas, il n’est question d’opposer les deux dimensions (même dans le paragraphe « le corps ou le mental », dans lequel on peut lire le « ou » comme étant inclusif). Au contraire, l’article titre « comment le corps peut-il aider le mental, comment le mental peut-il aider le corps » ? Il n’est nullement question de catégories fermées.
Aussi, l’article avait pour prétention de dépasser certaines oppositions que l’on entend encore régulièrement comme quoi il faudrait nécessairement « lâcher le mental », par exemple, pour mieux gérer ses émotions (ce n’est pertinent en réalité que si une approche « mentalisante » ferme justement la porte à d’autres modes de gestion qui pourraient s’avérer plus efficaces). Un objectif de l’article (ou d’une telle catégorisation en formation) est plutôt de mettre en évidence des « angles morts » dans les choix de stratégies de gestion des émotions des individus, non de ranger des tactiques dans des cases hermétiques et exclusives. En bref, la distinction corps-mental est à considérer comme une balise/un repère et non comme une opposition. Notons toutefois que certains paradigmes défendent une intrication qui suppose de se passer de cette distinction.
Pour ces raisons, nous soulignons encore que cet article ne saurait être pas représentatif à lui seul du panel d’outils, de méthodes et de paradigmes sur lesquels nous nous basons pour aborder les émotions et la communication.