Vous avez dit violence à l’école… A la recherche de pistes d’actions sur les routes du Québec (2003)
Un retour d’expérience initialement paru dans le trimestriel n°84, en 2003.
Dimanche 11 mai 2003, 19 heures, heure locale. Après avoir suivi des itinéraires différents, nous nous retrouvons comme prévu au 704, rue Richelieu à Québec, dans une charmante maison d’hôtes. Les voyages se sont bien passés, nous sommes bien arrivées, heureuses de nous revoir quoiqu’un peu dépitées par la fraîcheur ambiante. Fatiguées par le décalage horaire, nous décidons de gagner nos lits à heure raisonnable, mesurant l’énergie qui nous serait nécessaire pour suivre le programme chargé des trois jours de la deuxième conférence mondiale sur la violence scolaire.
Du lundi 12 mai au mercredi 14 mai inclus, nous avons suivi certains des nombreux ateliers proposés dans le cadre de cette conférence qui avait comme objectif de faire le point sur les connaissances actuelles en « recherche, pratiques exemplaires et formation des maîtres ». Hormis les séances plénières de début et de fin de colloque, le programme était ainsi conçu que, tous les trois quarts d’heure, nous avions à choisir entre une dizaine d’ateliers différents. Pour maximiser notre investissement et pour en apprendre le plus possible, nous avons suivi des ateliers différents.
Dès la séance d’introduction, les conférenciers posaient un constat interpellant : « il devient gênant d’avoir tant de connaissances scientifiques sur la violence à l’école et de ne pas les appliquer ».
Outre l’objectif de faire le point sur les connaissances actuelles ayant trait à la violence scolaire, la tenue de cette deuxième conférence mondiale, qui a réuni plus de 550 participants venant de 35 pays différents, et la création de l’Observatoire canadien sur la prévention de la violence à l’école doivent également servir à pallier le manque de transmission de ces savoirs dans le monde de l’éducation. En vous présentant la synthèse des principaux enseignements retirés, nous espérons contribuer à cette transmission.
Dans un premier temps, nous vous présenterons différents constats posés lors de cette conférence. Ensuite, nous décrirons les pistes d’action proposées en vue de répondre à ces constats.
A la lecture de ces résultats, vous serez peut-être, tout comme nous l’avons été, en reste de découvertes novatrices et révolutionnaires…En effet, la plupart des thèmes développés ne nous sont pas inconnus et sont déjà repris en partie dans certaines actions que nous menons à l’Université de Paix. A tout le moins, ces résultats ont confirmé que les axes de travail que nous développons pour le monde scolaire sont judicieux, et ce, même s’ils gagneraient à être parfois approfondis.
A propos des constats, les recherches actuelles sur la violence à l’école ne permettent toujours pas d’affirmer que le phénomène serait en augmentation. Néanmoins, elles ont fait apparaître une médiatisation de plus en plus forte du phénomène, une augmentation du sentiment d’insécurité ainsi qu’un changement des formes de la violence : les faits sont plus « hard » et plus souvent commis en groupe.
Au cours de cette conférence, aucune définition précise et univoque du phénomène de violence n’a été apportée. Tout un chacun admet l’existence du phénomène et la multiplicité de ses formes. Seront dès lors considérées comme formes de violence toute atteinte à l’intégrité physique et/ou morale des individus.
A propos des causes de la violence, peu de surprises : elles sont multiples ; leur présence n’implique pas nécessairement un passage à l’acte néanmoins, plus on les cumule, plus on en augmente les probabilités ; elles s’inscrivent généralement dans la durée et dès lors leur déconstruction nécessite du temps.
La violence a un coût. Agir pour l’enrayer nécessite des réflexions et des décisions politiques ainsi que des moyens financiers. Il incombe aux états ainsi qu’à chacun de s’engager et de prendre ses responsabilités. Agir pour l’enrayer nécessite également une réflexion sur la « multidimensionnalité » du phénomène et sur la nécessité de mener des actions à la fois globales et individuelles.
Face à l’augmentation du sentiment d’insécurité, une des tendances actuelles est de privilégier une politique sécuritaire et répressive. On ne peut que s’étonner en apprenant qu’actuellement, certains pays consacrent un budget supérieur pour la construction de leurs prisons que pour celle de leurs écoles.
Un autre constat ressorti au cours de cette conférence est que, dans beaucoup de pays, peu des actions mises en place pour enrayer les phénomènes de violence sont évaluées. Il est donc difficile d’en mesurer les effets bénéfiques ou non et par là d’en recommander l’application.
Alors qu’il est évident que les enseignants sont parmi les acteurs les plus directement concernés à la fois par le phénomène de violence scolaire et par les différentes actions à mettre en place pour l’enrayer, il apparaît que leur formation initiale ou continuée ne suffit pas à leur apporter les outils nécessaires. Eux-mêmes le déplorent et reconnaissent que ce manque les pousse à adopter des attitudes de contrôle ou de fuite, qui auront le plus souvent comme conséquence d’augmenter la violence. Autre constat alarmant, dans certains pays, on constate un « turn-over » -arrêt momentané ou définitif du poste de travail occupé- de plus en plus élevé dans le corps professoral. Ainsi, en Angleterre, il est de 40%.
Après les constats, passons en revue les différentes pistes d’action qui ont été, pour certaines évoquées et pour d’autres davantage explicitées.
Parce que les phénomènes de violence sont plus visibles à l’adolescence et parce que, le plus souvent, on agit davantage dans l’urgence que dans la prévention, de plus gros investissements sont consacrés au secondaire. Or, les recherches ont fait apparaître l’importance de transmettre, dès le plus jeune âge, des habiletés sociales qui permettront plus tard aux jeunes de s’exprimer et de résoudre leurs problèmes en diminuant les risques de recours à la violence.
Afin de maximiser les effets escomptés de tout programme qui aurait pour finalité d’enrayer les phénomènes de violence dans une école et de développer les habiletés sociales, il est fortement conseillé :
- que celui-ci soit fondé sur un minimum de recherches qui en aurait démontré la pertinence,
- qu’il soit transmis par le biais de formations aux différents acteurs qui auront à en assurer la mise en place,
- que celui-ci suscite un maximum d’engagement et de motivation de la part des acteurs qui auront à en assurer la mise en place,
- qu’une personne interne à l’établissement (direction ou membre du personnel) en assure « la bonne gouvernance »,
- qu’une personne externe à l’établissement puisse servir de « personne ressource » au programme en en assurant le suivi,
- que les acteurs soient patients et constants dans la mise en place de l’application du programme,
- que, dans la mesure du possible, les parents soient au minimum informés du projet, voire impliqués.
De plus, des recherches empiriques ont fait apparaître les caractéristiques communes des établissements scolaires oeuvrant en prévention :
- Un maximum d’acteurs partagent des valeurs communes et se sont mis d’accord sur leur conception éthique de l’Homme et de l’éducation. Les valeurs les plus souvent retrouvées sont le respect et la tolérance.
- Avoir un modèle pour expliquer et prédire les comportements agressifs. Or, souvent les enseignants improvisent sur base du sens commun. « A ne savoir où on va, on risque d’arriver ailleurs ».
- Inefficacité de la punition. L’utilisation de la punition comme seul mode d’intervention augmente le nombre de comportements agressifs. Dans un premier temps, la punition arrête la forme d’agression, mais n’apprend rien en termes d’habiletés sociales qui donc doivent être apprises par ailleurs. De plus, il est important que le jeune soit confronté dans un deuxième temps aux conséquences de ses actes, afin d’en être davantage conscient et responsable.
- Une entreprise communautaire. L’école doit le plus possible intégrer tous les milieux socialisateurs entourant le jeune.
- Favoriser la réussite scolaire des jeunes. Des recherches ont prouvé le lien entre l’échec scolaire et les conduites agressives.
- Etablir des limites claires et communiquer des attentes élevées. Un environnement scolaire prévisible diminue l’anxiété et favorise l’autocontrôle. Cette prévisibilité sera d’autant renforcée qu’un maximum d’enseignants se seront mis d’accord sur les règles qu’ils souhaitent voir respecter. Des attentes claires et élevées favorisent le développement d’une bonne estime de soi. Signalons que cette piste consistant en un travail de réflexion et d’élaboration de règles communes a été évoquée dans plusieurs ateliers.
Certaines structures de l’école peuvent être génératrices de violence. D’autres modes d’apprentissage, tels que l’apprentissage coopératif, l’apprentissage individualisé ; la construction d’autres types de relation et d’autres rapports de pouvoir, plus égalitaires et respectueux entre enseignants/élèves, élèves/élèves, direction/enseignants, direction/élèves peuvent favoriser un climat plus serein. Ainsi, des modes de fonctionnement tels que les conseils de tous, les conseils de coopération, l’élection de délégués de classe, les cercles magiques, les conseils de participation…existent déjà dans de nombreux établissements et donnent des résultats dans les établissements qui se donnent les moyens nécessaires à leur réussite. D’autres écoles mettent sur pied un système de « mentorat » consistant en une forme de parrainage d’un élève par un enseignant. Le parrain est la personne privilégiée pour établir des relations de confiance qui porteront à la fois sur le travail scolaire et sur tout autre sujet difficile pour le jeune.
Autre piste novatrice à nos yeux, la présence de policiers (ières) dans les écoles. Nous avons en particulier rencontré et interrogé des policiers travaillant depuis 1995 dans des écoles d’un arrondissement de la ville de Québec. Des enquêtes menées durant quatre années ont fait apparaître une diminution de dossiers « enquête jeunesse » introduits pour des faits de délinquance mineure ou grave. Certes, la présence de policiers n’est pas l’unique facteur qui a pu contribuer à cette diminution. On peut cependant faire l’hypothèse que le travail de prévention et d’action qu’ils mènent a influencé les résultats. A titre d’exemple, le policier peut assurer certaines formations, pour les enseignants, les élèves, les parents, sur des thèmes spécifiques tels que les assuétudes. Quand des faits de délinquance sont commis, il se rend chez les parents du jeune pour envisager avec eux, avant un recours judiciaire ferme, les différentes solutions envisageables. Il est là pour recueillir les plaintes des élèves, enseignants, direction et les orienter dans leurs démarches…
Nous l’avons déjà dit, plus les projets sont menés en partenariat avec un maximum d’acteurs concernés, plus ils ont des chances de réussir. Ainsi, certains projets québécois impliquent directement les parents dont les enfants présentent des troubles de comportement (nous avons remarqué qu’au contraire de ce qui se fait chez nous, beaucoup de mesures et d’activités spécifiques sont proposées pour ce type d’élèves). Par exemple, le programme « PEC » (Pratiquons Ensemble nos Compétences) a pour objectif de transmettre des compétences en résolution de conflits aux parents et aux adolescents, ainsi que le maintien et le transfert de ces compétences dans le milieu familial.
D’autres programmes, réservés aux enfants et aux jeunes, accordent la priorité à l’apprentissage d’habiletés sociales telles que la connaissance de soi et des autres ; le renforcement de l’estime de soi comme un des préalables à des comportements sociaux adaptés ; la reconnaissance, l’expression et la gestion des sentiments ; la communication et les différentes stratégies de gestion de conflits. Pour travailler au renforcement de l’estime de soi, il apparaît important d’apprendre au jeune à reconnaître ses forces mais également à prendre conscience de ses limites.
En ce qui concerne la formation des maîtres, qu’elle soit de base ou en cours de carrière, des pistes générales ont été lancées.
Une formation de base (universitaire) de qualité devrait apprendre au futur enseignant à être capable de :
- lire la recherche
- avoir un modèle de référence
- renforcer les comportements pro-sociaux
- enseigner des comportements de remplacement aux comportements violents
- arrêter directement les comportements violents pour ensuite discuter avec le jeune
- prévenir l’escalade
- participer à l’élaboration de codes de vie
- gérer l’environnement de la classe de manière pro-active
- trouver des moyens de préventions utiles en-dehors des classes
- établir une relation de confiance avec les parents
- situer son rôle dans un programme de prévention
- se protéger émotionnellement
- travailler en partenariat avec d’autres enseignants
- analyser, critiquer, comprendre et ajuster ses pratiques
En ce qui concerne l’acquisition de compétences utiles à la prévention de la violence scolaire, les formations continuées des enseignants sont plus efficaces si :
- elles sont proposées dans l’école en regroupant un maximum d’acteurs volontaires
- méthodologiquement, elles consistent, entre autres, à un échange de savoirs et de pratiques utiles au projet
- elles ont pour finalité le bien-être de tout un chacun dans l’établissement
- elles sont suivies d’actions concrètes mises en place en vue d’assurer un changement
- elles reposent sur la recherche, c’est-à-dire sur un minimum d’évaluation concernant les changements opérés
Mercredi 14 mai, 17h00, sur les genoux, la tête trop pleine mais bien pleine…et pleine d’espoirs. Nous n’avons vu de Québec que notre chambre et ses hôtes charmants, notre mangeoire le « Hobbit » et le palais des Congrès. Nous en sortons. Après trois jours de pluie, les nuages sont partis, le fond de l’air s’est adouci. Autant de signes du ciel qui nous invitent à quelques vacances, le Saint-Laurent, ses villages pittoresques et ses baleines. Trois jours de répit avant la poursuite de notre voyage exploratoire sur les pistes du Canada…