Quelques repères du programme « Graines de médiateurs – Développement des habiletés sociales » tel que dispensé en 2003. Ce programme a pour objectif de développer chez les enfants des compétences personnelles et relationnelles. Il a été réalisé par deux formatrices de l’Université de Paix tout au long de l’année scolaire, à raison d’environ 2 séances de 2 heures par mois. Récit et impressions d’une formatrice.
Quand les enfants apprennent à vivre ensemble…
En prenant connaissance du projet, ma première impression est l’étonnement. Habituellement, nous travaillons dans les classes lorsque le climat s’est tellement détérioré qu’il ne permet plus aux élèves d’apprendre. Ici, rien de tel. L’accent est mis sur la prévention de la violence et la possibilité pour les élèves de 5 classes de 4ième et 5ième primaire d’acquérir des compétences relationnelles qui leur permettent de gérer leurs conflits et de communiquer de façon non violente. Quelle chance !
Pour démarrer le projet, une réunion est programmée avec les enseignants des classes concernées. Certains enseignants sont un peu sceptiques, d’autres voient en ces animations la chance de pouvoir régler certaines difficultés vécues en classe. Une enseignante aimerait travailler par exemple l’écoute car elle est épuisée par le bruit que font les 27 élèves de sa classe.
Une réunion est aussi organisée pour les parents des élèves concernés par les animations afin de leur expliquer les tenants et aboutissants du projet. Pour favoriser l’intégration par les enfants des compétences sociales, il est important de pouvoir collaborer avec tous les adultes socialisateurs qui gravitent autour de l’enfant. L’efficacité du programme en dépend largement.
L’objectif de ce programme est de développer des habiletés sociales afin de permettre un climat harmonieux dans la classe. Vivre ensemble, ce n’est pas facile. Cela nécessite des compétences et celles-ci ne s’acquièrent pas de n’importe quelle façon.
Dès la première animation en classe, nous leur proposons des règles de vie à respecter. Entre autres, je ne fais pas de mal (ni à moi, ni aux autres), j’ai le droit au stop,… Une boîte à suggestion leur donne l’opportunité de signaler aux autres ce qu’ils apprécient, ce qui les dérange et leurs propositions de changement. Au début de chaque séance, leurs messages sont lus à haute voix. Certaines propositions seront discutées. Par exemple, dans la classe de 27 élèves où il était difficile d’avoir le calme même pour l’énoncé d’une consigne, des élèves ont proposé d’ajouter des règles de vie et de faire des jeux pour apprendre à se taire.
Certaines étapes jalonnent l’apprentissage de ces compétences telles que la connaissance de soi-même et d’autrui, la confiance et la coopération, l’écoute, la capacité à s’exprimer dans le respect des autres. La méthodologie proposée est active : jeux de groupe, sketches, histoire, échanges… Un exemple d’activité sera donné pour chacune des étapes.
1. Moi parmi les autres
Se connaître et se faire connaître aux autres est le préalable de toute relation constructive. Beaucoup d’activités amènent les enfants à regarder les autres avec un regard positif. Par exemple, les enfants ont apporté un objet qui les représentait et l’ont présenté aux autres. Un enfant s’exprime : « J’ai apporté l’Espagne », dit-il en montrant la carte du pays, « car mon papa est espagnol ». Les autres sont étonnés, ils ne savaient pas. Une autre montre une bouteille d’eau « j’ai apporté de l’eau parce que je pleure beaucoup ».
2. Confiance et coopération
Lorsque le groupe est prêt et avant d’aborder le conflit proprement dit, il est important de construire un climat de confiance Ainsi, avec l’activité « les chaudoudoux », les enfants envoient des messages positifs à leurs compagnons et à leur professeur. Dans une des classes, les élèves ont proposé de lire un des messages reçus à haute voix. L’émotion était grande lorsqu’un élève a remercié son enseignant de lui avoir expliqué plusieurs fois des matières non comprises pendant les temps de midi. Un tel type de climat permet aux élèves de s’exprimer sans craindre le jugement d’autrui.
3. Moi et le conflit
Tous n’ont pas la même manière de réagir lors de disputes. A partir d’une histoire conflictuelle, les enfants ont pu s’exprimer sur les différentes attitudes. « Moi, le conflit, j’aime pas trop, je préfère ne pas le voir ! » dit un garçon de 4ième primaire. Céline confie au groupe : « lors des disputes, moi j’arrange toujours les choses avec tout le monde ». Les enfants apprennent à être plus conscients de leurs stratégies et à s’ouvrir à d’autres attitudes possibles.
4. A l’écoute du verbal et du non-verbal
Les enfants apprennent à écouter et à observer les autres afin de permettre une communication qui tient compte de l’autre. Les jeux d’écoute non-verbale ont été fort appréciés par les enfants de la classe où il y a beaucoup de bruits. Ils ont pu vivre des moments de silence et en mesure l’intérêt.
5. A l’écoute de ce qui se vit
L’expression de ses sentiments et l’accueil du ressenti de l’autre permettent une compréhension mutuelle et une communication plus en profondeur. Par des situations simples, les enfants sont amenés à mimer une émotion. Les autres devinent de quel sentiment il s’agit. Une autre manière de favoriser l’expression des sentiments : après chaque activité, les enfants qui le souhaitent peuvent prendre le bâton de parole et exprimer leur avis sur le jeu et leur ressenti. Le fait d’exprimer un ressenti entendu par l’autre provoque souvent soulagement et compréhension mutuelle.
6. Sortir du conflit
Des situations conflictuelles sont jouées et les enfants vont y répondre de manière créative. Certains conflits, survenus durant les animations, ont pu être discutés et réglés de manière non violente. Par exemple, deux enfants ont pu trouver un terrain d’entente à leur difficile cohabitation de bureau en classe.
Parfois, lorsque des séances sont difficiles, tendues, et que beaucoup d’énergie est déployée pour de maigres résultats visibles, je suis sortie de la classe découragée. Mais au fil des séances, j’ai pu observer des changements qui me réconfortent dans le bien-fondé de notre démarche. Par exemple, quel bonheur d’entendre un élève féliciter spontanément une autre d’avoir bien camouflé sa voix dans un exercice et de voir le sourire de l’intéressée jusque derrière les oreilles ! Lorsque les groupes-classes vivent des moments de cohésion, quelle satisfaction de les voir bien ensemble !
A la fin de l’année, vient le moment de l’évaluation. J’étais très intriguée de savoir ce que retiendraient les enfants des séances. Voici quelques réponses à l’évaluation écrite réalisée en fin d’année : « j’ai appris des choses sur les autres », « ce que les autres ont dans le cœur », « j’ai appris à parler au lieu de taper », « qu’il faut respecter celui qui a la parole ».
Les enseignants étaient très satisfaits, ils y ont vu des avantages au niveau de l’ambiance de leur classe. « Les sports d’hiver ne sont jamais aussi bien passés que cette année », nous a confié une enseignante. Une autre, celle qui était fatiguée par le bruit de ses 27 élèves, m’a dit « Je croyais que l’Université de Paix, c’était magique, que tous les élèves allaient se taire. J’ai appris cette année qu’il fallait du temps pour développer ces compétences. L’autre jour, j’ai proposé une heure d’échange et de partage avec les élèves, et ils se sont écoutés sans s’interrompre durant toute l’heure ! J’étais très heureuse. »
La réunion des parents de fin de parcours regroupant parents, enfants et enseignants a rencontré un franc succès. Plus d’une soixantaine de personnes y sont venues pour entendre l’évaluation du programme et exprimer leur souhait de le voir se poursuivre cette année, ce qui est chose faite dans trois écoles de la commune.
J’ai été émue en lisant la réponse d’un enfant : « J’ai grandi grâce à vous ». Et ces petites graines semées, qui sait ce qu’elles produiront demain, dans une semaine, dans dix ans… ?