Le but n’est pas de se défaire de la peur ni de la nier : elle est une alliée utile et précieuse. Elle nous indique clairement notre besoin de sécurité et nous aide à mobiliser nos ressources pour le satisfaire. Il est donc essentiel d’apprendre à reconnaître la peur et de savoir l’écouter pour comprendre ce qu’elle veut nous dire réellement. Apprendre à écouter et accueillir ses peurs très tôt, c’est permettre de limiter les risques d’une expression par la violence, en retrouvant du pouvoir d’agir sans agresser par peur d’être soi-même attaqué.
Retrouvez-y un article de l’Université de Paix : « J’ai peur de dire non – Traiter mes peurs et croyances limitantes »
Il n’est pas toujours facile d’exprimer ses limites ou de dire non de manière non violente. Cette situation de communication particulière peut engendrer des peurs, et donc une incapacité d’agir d’une manière qui soit satisfaisante…
J’ai peur de dire non – Traiter mes peurs et croyances limitantes
Cet article s’appuie notamment sur des considérations de France Brécard et Laurie Hawkes (analyse transactionnelle), Christine Laouénan, Delphine Barrais, Marie Haddou, Sarah Famery et Christel Petitcollin. Il représente une compilation des apports de ces différentes auteures.
Croyances « limitantes », croyances libératrices
L’analyse transactionnelle (AT) distingue les croyances « limitantes » des croyances « libératrices ». Les croyances libératrices sont celles qui nous donnent plus de pouvoir d’action, tandis que les croyances limitantes nous enferment dans des schémas répétitifs qui nous empêchent parfois d’agir d’une manière qui nous convienne authentiquement, entre autres lorsqu’il est question de dire non.
Pour faire simple, moins je parviens à dire non, plus j’ai peur, et plus je crains d’avoir peur : je deviens alors mon propre ennemi. Ce qui libère, ce n’est pas le fait de ne plus avoir peur, mais simplement de ne plus avoir peur d’avoir peur. Les phrases-types manifestant des croyances limitantes comportent généralement les mots suivants : « il faut », « je dois », « je n’ai pas le droit », « je ne peux pas », « ce n’est pas possible », « je n’ai pas d’autre choix que de ». Dans la société judéo-chrétienne, une croyance répandue consiste à dire qu’il est plus important ou prioritaire d’être attentif à l’autre plutôt qu’à soi, par exemple. La croyance inverse (« je dois m’occuper de moi en priorité ») existe également.
Se préparer passe par un travail sur soi qui peut nécessiter quelques ajustements intérieurs.
Il s’agit tout d’abord de traiter ses peurs, celles qui empêchent de dire non (peur du conflit, de la colère, du pouvoir de l’autre, crainte de perdre l’affection, de faire du mal…).
Cela implique de dépasser certaines convictions ou injonctions qui viennent de l’éducation et des expériences vécues : « fais plaisir », « sois gentil », « ne fais pas de mal aux autres », etc. Ces croyances et ces peurs amènent parfois à l’hyper-empathie, et donc à l’oubli de soi pour se centrer sur les émotions de l’autre.
Dans un second temps, il s’agit d’être vigilant par rapport à ses propres besoins, notamment ceux qui sont régulièrement étouffés ou survalorisés (comme le besoin d’approbation). Cette conscientisation combinée de ses propres peurs, de ses croyances limitantes et de ses besoins en souffrance peut amener une personne à agir autrement et à clarifier sa position avec davantage de sérénité et de fermeté à la fois.
En effet, les peurs prennent souvent la forme de prédictions auto-réalisatrices, concept que nous empruntons à R. K. Merton, c’est-à-dire d’idées qui vont modifier les comportements de manière à faire advenir ce qu’ils prédisent.
Il existe en effet une tendance qui fait que la manière dont nous approchons la réalité impacte notre perception de celle-ci et notre comportement vis-à-vis d’elle. Cela peut engendrer des biais, notamment le biais de confirmation (psychologie cognitive). De telles considérations se retrouvent aussi en systémique, et notamment chez Françoise Kourilsky.
Les exemples de telles prophéties sont nombreux : un enfant disqualifié en famille qui se dit qu’il ne vaut rien et qui se replie, confirmant sa prédiction ; un travailleur qui se trouve incompétent par rapport aux efforts qu’il fournit et à son niveau d’étude, et qui par frustration adopte des comportements irrespectueux qui amènent de l’irrespect réciproque et le font passer pour incompétent (comme prévu) ; une dame qui, à la suite de plusieurs échecs amoureux, se dit que « les hommes sont des salauds », qu’elle ne trouvera pas l’amour sincère, et qui s’oppose ou fuit la gent masculine, se confortant dans sa vision des choses…
Traquer, puis troquer ses peurs
Plusieurs auteurs, issus notamment du courant de l’AT, proposent d’identifier une peur et d’effectuer un troc de cette peur contre un droit : droit de ne pas être parfait, d’être ridicule ou mal vu, de faire quelque chose qui fait du mal à l’autre…
La technique du « Et alors ? » est à cet égard intéressante. En ne répondant qu’à cette seule et unique question, un individu peut mettre à jour les peurs profondes qui sont les siennes.
Prenons un cas concret. Une personne pense : « Si je refuse de prêter ma voiture, il va se dire que je suis égoïste ». « Et alors ? Il va en parler à X ». « Et alors ? Ni X ni lui ne me demanderont plus rien ». « Et alors ? Ils ne m’appelleront plus ». « Et alors ? Je ne les verrai plus ». « Et alors ? Je me sentirai seul(e) et rejeté(e) ». « Et alors ? Et alors, je n’ai pas envie »…
Ce questionnement un peu surréaliste fait la démonstration que mes peurs sont parfois disproportionnées, et fait apparaître la partie invisible de l’iceberg. Dans ce cas-ci, il s’agit de la peur d’être rejeté et seul. Je peux alors accueillir ma peur pour m’en libérer, en souriant et en me disant par exemple : « Voilà, c’est ça ma peur » !
Se basant sur l’AT et la programmation neurolinguistique (PNL), Charles van Haverbeke propose une lecture complexe des croyances possibles, les classant sur deux axes : l’objet de la croyance (moi, l’autre ou le monde) et la nature de la croyance (C- limite le champ des possibles, C+ ouvre le champ des possibles, C0 est une croyance caractérisée par le manque d’information).
Moi | Autre | Monde | |
Croyance limitante (C-) | « Je suis nul » | « Il est égoïste » | « Je travaille dans une boîte de merde » |
Croyance libératrice (C+) | « J’ai le droit de faire des erreurs » | « Il sait ce qu’il veut » | « Il y a de fameux défis à relever ici » |
Pas d’information (C0), à vérifier | « Je ne sais pas ce que je veux et ce dans quoi je serais compétent » | « Je crois qu’il n’a pas rendu le dossier » | « Dans ce boulot, je pense que légalement, on peut se faire virer dès qu’on refuse de réaliser un travail » |
L’idéal est d’essayer de diminuer l’impact des croyances limitantes (C-), d’augmenter l’énonciation de croyances libératrices ou de recadrages positifs (C+) et d’obtenir des informations manquantes (C0) en se posant les bonnes questions.
Booster son mental consiste ainsi à se donner du feedback positif, à informer et à s’informer, afin de limiter la méconnaissance porteuse de tension(s). (S’)informer consiste à poser des questions de clarification afin de comprendre les souhaits, les enjeux de chacun.
Une fois les croyances mises à jour, il convient donc de les troquer, les échanger, les remplacer par des pensées libératrices, qui autorisent à dire non. Pour cela, il est possible de se demander si ses auto verbalisations irrationnelles sont fondées, puis de décider de remplacer les pensées automatiques les plus illogiques et critiquables par des pensées constructives.
Ci-dessous quelques exemples de pensées libératrices ou de droits qu’il est possible de s’octroyer en lieu et place de devoirs ou d’injonctions :
- « Je peux penser différemment des autres » ;
- « Il n’est pas nécessaire que tout le monde m’aime » ;
- « Je n’ai pas à prouver ma valeur en permanence » ;
- « Je ne suis pas obligé de faire toujours ce qu’ils veulent » ;
- « Je suis une bonne mère car mon enfant va plutôt bien et a l’air de m’aimer » ;
- « Peut-être sera-t-il intéressé par ce que je vais lui dire » ;
- « S’il me rejette, au fond, ce n’est pas un véritable ami ».
Plus spécifiquement, en guise de conclusion, voici des exemples de pensées qui peuvent entraver ou faciliter un refus :
Pensées empêchant le refus |
Pensées facilitant le refus |
Si je refuse, je vais être désagréable. | Je peux dire non avec délicatesse et diplomatie. |
Dire non, c’est être hostile. | Il est possible de négocier et de trouver un compromis qui respecte les besoins et les limites de l’autre en même temps que les miens. |
Si je refuse, je vais entraîner un conflit. | Le désaccord que j’explicite est une opportunité de mieux comprendre le point de vue de chacun, voire de chercher des solutions acceptables si c’est possible. |
Je n’ai pas le droit de dire non car dire oui est une preuve d’affection, d’amour, d’amitié. | Je choisis de dire non car c’est une preuve d’honnêteté et d’authenticité dans la relation. |
L’autre doit deviner que j’ai envie de dire non. | Les autres ne peuvent lire dans mes pensées et ne peuvent dire non à ma place : il est préférable de dire clairement les choses si je veux avoir une chance d’être entendu. |
Dire non, c’est être égoïste. | Dire non c’est se respecter et se protéger. C’est aussi l’occasion de permettre à l’autre de se sentir gratifié par l’attention qu’il porte à mes besoins. |
Pour dire non, je dois me justifier. | Je peux dire non sans avoir à donner les raisons de mon refus, ou encore en expliquant à quoi je réponds en disant non (sans me justifier par des prétextes ou des arguments fallacieux). |
Le fait de passer d’une pensée « limitante » à une pensée « libératrice » peut être apparenté au « recadrage » en systémique : il s’agit en fait de connoter la situation d’une manière positive, de lui donner un nouvel éclairage. Le travail se fait en premier lieu sur la façon de percevoir les choses.